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Paradoxe sur le comédien
EAN13
9789999999960
Éditeur
NumiLog
Langue
français

Paradoxe sur le comédien

NumiLog

Livre numérique

  • Aide EAN13 : 9789999999960
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Réfléchissez un moment sur ce qu'on appelle au théâtre _être vrai_. Est-ce y
montrer les choses comme elles sont en nature ? Aucunement. Le vrai en ce sens
ne serait que le commun. Qu'est-ce donc que le vrai de la scène ? C'est la
conformité des actions, des discours, de la figure, de la voix, du mouvement,
du geste, avec un modèle idéal imaginé par le poète, et souvent exagéré par le
comédien. Voilà le merveilleux. Ce modèle n'influe pas seulement sur le ton ;
il modifie jusqu'à la démarche, jusqu'au maintien. De là vient que le comédien
dans la rue ou sur la scène sont deux personnages si différents, qu'on a peine
à les reconnaître. La première fois que je vis M lle Clairon chez elle, je
m'écriai tout naturellement :

«  _Ah_! _mademoiselle, je vous croyais de toute la tête plus grande_. »

Une femme malheureuse, et vraiment malheureuse, pleure et ne vous touche point
: il y a pis, c'est qu'un trait léger qui la défigure vous fait rire ; c'est
qu'un accent qui lui est propre dissone à votre oreille et vous blesse ; c'est
qu'un mouvement qui lui est habituel vous montre sa douleur ignoble et
maussade ; c'est que les passions outrées sont presque toutes sujettes à des
grimaces que l'artiste sans goût copie servilement, mais que le grand artiste
évite. Nous voulons qu'au plus fort des tourments l'homme garde le caractère
d'homme, la dignité de son espèce. Quel est l'effet de cet effort héroïque ?
De distraire de la douleur et de la tempérer. Nous voulons que cette femme
tombe avec décence, avec mollesse, et que ce héros meure comme le gladiateur
ancien, au milieu de l'arène, aux applaudissements du cirque, avec grâce, avec
noblesse, dans une attitude élégante et pittoresque. Qui est-ce qui remplira
notre attente ? Sera-ce l'athlète que la douleur subjugue et que la
sensibilité décompose ? Ou l'athlète académisé qui se possède et pratique les
leçons de la gymnastique en rendant le dernier soupir ? Le gladiateur ancien,
comme un grand comédien, un grand comédien, ainsi que le gladiateur ancien, ne
meurent pas comme on meurt sur un lit, mais sont tenus de nous jouer une autre
mort pour nous plaire, et le spectateur délicat sentirait que la vérité nue,
l'action dénuée de tout apprêt serait mesquine et contrasterait avec la poésie
du reste.

Ce n'est pas que la pure nature n'ait ses moments sublimes ; mais je pense que
s'il est quelqu'un sûr de saisir et de conserver leur sublimité, c'est celui
qui les aura pressentis d'imagination ou de génie, et qui les rendra de sang-
froid.
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