www.leslibraires.fr

Auteurs et illustrateurs répondent à nos questions autour de leur dernier livre. Découvrez leurs livres de chevet, leurs conseils de lectures, et plongez dans les coulisses de leur travail.

Entretien avec...

À propos du livre : Professeur Goupil et Akiko attendent un heureux évènement. Lui qui a toujours eu la tête dans la lune semble de plus en plus avoir les pieds sur terre. À l'instant même où il voit son enfant, minuscule, avec les yeux qui pétillent la magie, Goupil sait qu'il pourrait gravir les montagnes. Mais Akiko, elle, semble triste. Désespérément.

 

Ce quatrième tome des aventures du Professeur Goupil aborde un sujet très rare en littérature jeunesse, l’état dans lequel peut se retrouver une femme qui vient d’accoucher, à savoir, la tristesse, l’épuisement voire le désespoir. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

L. C. - Je préfère nommer vraiment les choses et le sujet c'est la dépression post-partum. Nommons-la. Et donc, le point de départ est très personnel, avec du vécu très intime en guise de prémisse de projet. A ce moment-là de la gestation, je m'interroge en effet sur l'intérêt du sujet et je me pose une question toute simple : pourquoi n'en parlerait t-on pas aux enfants ? Je n'ai trouvé aucune bonne raison de ne pas le faire. Avec le feu vert d'Anne et celui d'Audrey, notre éditrice, j'ai été conforté dans cet élan (rien à voir avec l'animal).

A.M. -  Lorsqu'on est auteurs et qu'on produit des livres tout au long de sa vie, on est sans cesse en train de réfléchir, plus ou moins consciemment, à ce qu'on a envie d'exprimer dans le prochain. Quand l'idée d'une nouvelle aventure du Professeur Goupil est venue sur la table, c'est un sujet qui nous est naturellement apparu, ayant 2 enfants en bas âge et ayant pu traverser une expérience similaire. On s'est dit que le thème était rarement abordé et que nous avions des choses à dire là-dessus.

 

Vous décrivez cette période avec beaucoup de réalisme mais aussi avec beaucoup d’humour. Avez-vous pensé ce livre comme pouvant être une aide pour les enfants qui seraient confrontés à cette situation et ne comprenant pas l’état de leur mère ?

L. C. -  L'humour c'est inhérent à la série Goupil donc même (surtout ?) quand on aborde un sujet triste, il doit être présent. Concernant l'aide aux enfants pour comprendre l'état de leur mère, sans faire un manuel de quoi que ce soit puisqu'il s'agit avant tout d'une fiction, je dois bien avouer que j'avais ça en tête, oui. J'avais à cœur de dépeindre les mille et une nuances de sentiments d'une maman en plein post-partum avec subtilité. Je voulais aussi montrer comment le papa vit cette période. Le rapport texte – image a donc été plus important que jamais sur ce titre car l'indicible se passe de mot.

A. M. -  Nous voulions que tout le monde puisse y trouver quelque chose, peut-être du soulagement pour une maman de lire un témoignage extérieur de son état, peut-être un éclairage pour un papa sur la situation qui se déroule sous ses yeux, et peut-être des réponses pour un grand frère ou une grande soeur qui observerait une situation similaire à la maison. Nous avons essayé de ne pas mettre de gros sabots, donc tout cela reste sous forme de perche tendue que chacun peut saisir au vol ou non.

 

Dans le premier tome, le Professeur Goupil est seul mais bientôt rejoint par ses petites créatures. Dans le deuxième, il tombe amoureux, dans le troisième il voyage. Celui-ci tranche un peu avec les précédents. Était-ce important pour vous de parler d’un sujet qui casse le mythe de la maternité facile et heureuse et surtout instinctive ?

L. C. - En vérité celui-ci est la continuité logique du parcours du personnage. Dans le tome 1, le Professeur Goupil apprend que le bonheur ne vaut que s'il est partagé. Dans le tome 2 il découvre que c'est quand même pas plus mal dans la vie si on aime. Dans le tome 3, il réalise qu'au-delà de ses quatre murs, le vaste monde ne demande qu'à être exploré. Ainsi, la paternité (et la maternité) du tome 4 s'inscrit dans ce chemin, ce parcours initiatique.Quant à casser le mythe, il doit y avoir un peu de ça, en effet. Je me rappelle comme on prenait comme un uppercut les gens bien intentionnés qui nous disaient à la naissance « c'est que du bonheur », « vous allez vivre les plus beaux moments de votre vie ». Les études montrent que la dépression post-partum touche près de 7 % des mères au cours des trois premiers mois suivant l’accouchement. J'avais envie de contribuer à leur désinvisibilisation.

A. M. -  Comme le dit Loïc, je n'ai pas l'impression que nous avons tranché avec ce tome, mais que nous sommes plutôt dans une progression. De mon côté, ayant assez mal vécu mon début de maternité sans jamais avoir eu de témoignages en ce sens à l'époque, j'ai eu l'impression que ce serait une bonne chose de participer à la mise en lumière de ces sentiments très sombres qui peuvent vous tomber dessus lorsque vous devenez mère. On est suffisamment culpabilisées par tout un tas de choses à cette période de nos vies, si on peut alléger un peu le poids de tout ça, je tente l'expérience volontiers !

Quels livres jeunesse aimez-vous particulièrement et auriez-vous envie de conseiller à nos jeunes lecteurs ou à leurs parents ?

L. C. - Le catalogue Little Urban est merveilleux ! (oui je touche des pots-de-vin pour cette déclaration).

Pour le bien-être, je recommande une prise de Sidonie Souris de Clothilde Delacroix le matin, trois doses de Gilles Bachelet et de son chat le plus bête du monde l'après-midi, et une inhalation des Bartok de Lola Séchan le soir. Naturellement en traitement de fond, il y a ma trinité classique (Tomi Ungerer Les Trois Brigands – Sendak Max et les Maximonstres – Leo Lionni Petit Bleu petit jaune) et L'Île des Zertes de Claude Ponti.

A. M. -  Les choses qui s'en vont, de Beatrice Alemagna, qui me fait frissonner chaque fois que je le referme. Un thé à l'eau de parapluie, de Karen Hottois et Chloé Mallard, à lire sous un plaid avec une assiette de bichons au citron, et Le dégât des eaux de Pauline Delabroy-Allard avec les magnifiques illustrations de Camille Jourdy, pour tous les enfants qui vont devenir grand frère ou grande sœur, et même pour les autres.

 

Quelles librairies jeunesse aimez-vous fréquenter ?

L. C. et A. M. -  La librairie M'Lire à Laval car notre copain Simon Roguet est un libraire magicien. La légende prétend qu'il réussit à donner le goût de la lecture même à une poule. Et sinon on y va pas autant qu'on souhaiterait mais La Courte Echelle à Rennes me plaît bien. J'aimais beaucoup Comptines à Bordeaux, aussi quand on y habitait. Nous visitons les librairies chaque fois que nous nous promenons dans un nouvel endroit, c'est plus fort que nous.

 

Entretien réalisé par Maya Albert, Leslibraires.fr