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Entretien avec...

Fondée en mars 2003 par l’écrivain Rodney Saint-Éloi, Mémoire d’encrier rassemble des voix venant de tous les continents. Raconter ce qui n’a pas été raconté, éclairer ce qui a été longtemps silencié, tels en sont les enjeux. Se tissent rencontres, dialogues pour célébrer l’humain et le vivant. La maison publie de la fiction, de la poésie et des essais, accueillant les paroles rares : littératures des peuples autochtones, textes d’auteurs écrits en français, premiers livres bousculant les idées toutes faites ; des œuvres traduites qui font la part belle à une humanité , trop souvent invisibilisée. Le désir est l’invention d’un monde neuf, avec de nouveaux narratifs. Mémoire d’encrier ose… déplace les notions de centre et de périphérie, refusant injonctions, modèles et certitudes.

 

Rencontre avec Rodney Saint-Éloi

 

Quelle est l’histoire de la maison ? 

 

Cela a commencé par le besoin d’imaginer le monde. Pour qu’une chose existe, il faut la rêver, puis la faire advenir. C’est cette magie qui donne sens à la littérature comme à l’édition. Au début, dans les années 1990, c’était Mémoire à Port-au-Prince. Puis Mémoire d’encrier (2003) à Montréal, avec l’exil.

 

Mémoire d’encrier publie la « littérature-monde ». Pouvez-vous nous en dire plus ? 

 

Nous sommes engagés, indépendants et attentifs au monde. Nous publions des œuvres de tous horizons. C’est en articulant ces langages et visions que nous parvenons à faire altérité et communauté. Nous cherchons à révéler les angles morts. La littérature facilite ces inventaires-là. Je veux aussi souligner le travail de traduction, qui occupe une grosse part du catalogue. La plupart des œuvres écrites en français sont mélangées avec d’autres langues en amont (créole, innu, wolof, cri, etc.) ; ce souci de renversement caractérise la maison, avec notamment la Sud-Africaine Sindiwe Magona, l’Haïtienne Emmelie Prophète, la Française Catherine Blondeau, le Sénégalais Felwine Sarr... Ou encore pensons à la reprise de l’œuvre de Jean-Claude Charles. Je voudrais aussi faire place à la poésie en citant deux premiers livres de : Lorrie Jean-Louis, La Femme cent couleurs, Prix des libraires 2021 (Québec) et Emné Nasereddine, La Danse du figuier, Prix Émile-Nelligan, 2022. 

 

Quel est votre engagement vis-à-vis de la littérature autochtone ? 

 

Mémoire d’encrier a accueilli, dès ses débuts, les œuvres des Autochtones dont An Antane Kapesh, Thomas King, Joséphine Bacon, Virginia Pesémapéo Bordeleau, Leanne Betasamosake Simpson, Naomi Fontaine, Lee Maracle, Joshua Whitehead, Norma Dunning… La littérature a réussi le travail d’émancipation qu’on lui reconnaît. En lisant ces femmes et ces hommes, nous ne pouvons plus continuer à brimer leur peuple et leur culture. La littérature donne ainsi rendez-vous à la justice et à la beauté. Ces œuvres ont révélé une histoire qui n’a pas été racontée. 

 

Que veut dire éditer chez Mémoire d’encrier ? 

 

Nous sommes deux éditeurs-écrivains, moi-même, Rodney Saint-Éloi, écrivain d’origine haïtienne, et la romancière palestinienne Yara El-Ghadban. Éditer, pour nous, est un acte de résistance, une manière de subvertir le langage et le regard. Une manière de diversifier les perspectives et les récits. Question de placer des voix nouvelles, singulières, sans hiérarchiser. Nous guettons des paroles neuves pour construire de nouveaux narratifs. Pour changer le monde, tout au moins, pour le garder vivant, il nous faut la lumière d’un récit complexe et fécond.

 

 

 

Crédit photo Martine Doyon

Entretien réalisé par Maya Albert, Leslibraires.fr