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Auteurs et illustrateurs répondent à nos questions autour de leur dernier livre. Découvrez leurs livres de chevet, leurs conseils de lectures, et plongez dans les coulisses de leur travail.

Entretien avec...

À propos de l'autrice : Catherine Mavrikakis est née à Chicago, en 1961, d’une mère française et d’un père grec qui a grandi en Algérie. Son enfance se déroule entre le Québec, les États-Unis et la France. Elle choisit Montréal pour suivre des études de lettres et devenir professeur de littérature à l’université de Concordia pendant dix ans, puis à l’université de Montréal où elle enseigne toujours. Depuis la parution de son premier essai, La Mauvaise Langue (Champ Vallon, 1996), Catherine Mavrikakis construit une œuvre littéraire de premier plan. Elle est l’auteur d’une pièce de théâtre, Omaha Beach (Héliotrope, 2008), et de huit romans, tous parus au Canada.

À propos du livre : « Tu n’as jamais cultivé ton jardin. » C’est avec ces mots adressés à sa mère récemment disparue que l’écrivaine ouvre ce journal de deuil.
Arrivée au Québec en 1957, pour épouser un Grec fantasque qu’elle passera sa vie à attendre, madame Mavrikakis n’a jamais voulu prendre racine dans le nouveau monde. Repliée sur elle-même et sur ses enfants – qu’elle aurait rêvé de garder sous cloche jusqu’à la fin de sa vie –, elle n’a cultivé que la nostalgie de la France, son pays natal.

 

Nous avons lu plusieurs de vos livres, et sommes toujours surpris du renouvellement des « genres ». Le ciel de Bay City est un roman sur l’adolescence et le difficile passage à l’âge adulte, Oscar de Profundis revisite le post-apocalyptique ; L’absente de tous bouquets, votre nouveau livre, est un récit intime et biographique. Ce renouvellement est-il un choix délibéré ou un « hasard » de votre travail d’auteure ?

C.M -  Je me dis souvent que je n’ai de style particulier et je le regrette un peu.  On rêve d’avoir une signature, une musique reconnaissable, une façon de faire à soi. Mais je vois les livres comme des lieux expérimentaux où le propos décide de la forme. J’aime travailler sur des formes qui  me sont étrangères et me les approprier.Je lis beaucoup de livres et je ne privilégie pas une genre. En fait, j’aime les auteurs qui réinventent ou inventent les genres. pour L’absente de tous bouquets, je voulais recréer la voix d’une femme ( qui est moi) lorsqu’elle s’adresse ou pense à sa mère. Je passe pour parler de cette mère morte du tu ou elle. Elle me semble être à la  fois proche et lointaine, L,alternance des pronoms  personnels permet ce jeu. 

 

De nombreuses thématiques sont communes à vos romans, malgré la diversité de vos textes : les fantômes (de la famille, de la Shoah notamment), les rêves aussi et toute la dimension symbolique qu’on peut leur accorder. Tous ces thèmes semblent trouver leurs racines dans le rapport très particulier que vous avez eu – que vous avez – avec votre mère. A la lecture de L’absente de tout bouquets, on a l’impression de pénétrer dans l’intimité de votre vie, mais aussi un peu dans le creuset de votre œuvre.

C.M - Oui, c’est très, très juste… Il y a un jeu de dévoilement dans ce livre, je raconte comment ma mère me faisait vivre avec sa nostalgie, la Deuxième Guerre mondiale, les spectres du passé et comment ses traumatismes à elle ont bercé mon enfance,  Ma mère, loin de toute sa famille, a voulu dévorer ses enfants, les garder pour elle. Elle y a en partie réussi...

Vous dites à propos de votre mère « Je m’assure que tu es morte, j’apprivoise la terre que tu es devenue. Je salis mes mains pour t’enterrer encore et davantage ». Est-ce la raison d’être de ce texte : tenter d’apprivoiser un deuil impossible ?

 C.M - Oui, il y a dans ce texte, un travail fait contre la grande peine que constitue pour moi la mort de ma mère. Je me surprends encore à me dire: je vais l’appeler et je m’aperçois que ce n’est pas possible. Oui, j’apprivoise cette disparition, ce manque. Je le décline. Tout deuil par contre est impossible. Il est très difficile pour la psyché de comprendre que l’on ne verra plus ceux et celles que nous avons aimés. Les rêves témoignent souvent de cette impossibilité.ils ne tiennent pas compte de la mort et font en sorte que l’on parle par intermittence  avec ceux qui se sont tus. 

 

Vous expliquez aller, dès que vous le pouvez au jardin d’hiver du Centre Canadien d’architecture pour avoir l’impression de vivre à une autre époque, au milieu des fleurs, et dans le même temps ; vous considérez avoir été « la fleur vénéneuse » de votre mère. Vous avez un rapport singulier aux fleurs ?

C.M - J’aime beaucoup les fleurs, J’aime ce qui pousse sans trop de soin, contre toute attente. Au Québec où j’habite, après des mois de gel, de stérilité en quelque sorte , la nature devient folle, luxuriante. C’est toujours très étonnant. Ma mère aimait les fleurs et cultivait  une nostalgie des bouquets à la française. j’aime le côté éphémère des fleurs, cette beauté qui ne dure pas, cette fragilité qui s’offre.  Là encore, je dois dire que les paysages ici sont très peu divers, selon mes goûts.  Beaucoup de vert, beaucoup de forêts, à perte de vue. Une force dans cette monotonie, dans cet entêtement monochrome de la nature.  Les fleurs  et leurs couleurs  quand elles sont là nous renvoient à une surprise, à une étonnement. Vous l’aurez compris, j’aime les surprises.

 

Vous citez de nombreux auteurs dans votre livre (Jarman, Tariq Ali. Avez-vous des lectures « coups de cœur » à nous proposer ? Quels sont vos livres de chevet ?

C.M - En ce moment, je lis un très beau livre de Vinciane Despret, Au bonheur des morts. Ce livre m’arrive très longtemps après la fin de l’Absente, mais il y est question de la nécessité de continuer à parler ou faire vivre nos morts. Il côtoie bien sûr l’extraordinaire livre de Delphine Horvilleur, Vivre avec nos morts… Dans un tout  autre ordre d’idées, Je lis Ida d’Hélène Bessette que j’aime beaucoup, beaucoup  J’aime aussi un livre de Nathalie Léger La robe blanche que je n’avais pas encore lu. Superbe livre et  je suis une fan de Nathalie Léger. Enfin, j’ai à côté de mon livre le dernier livre de Bruce Bégout: Le concept d’ambiance, livre philosophique d’un grand penseur  qui réfléchit à une notion inédite : l’ambiance. Tout est une question d’ambiance, n’est-ce pas? même dans les livres.

 

Entretien réalisé par Olivier Soumagne, Leslibraires.fr