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Aller en paix

Ludovic Robin

Le Rouergue

  • Conseillé par (Le Pain des Rêves)
    10 janvier 2017

    En Savoie, dans le village des Plastres, un homme d'une cinquantaine d'années raconte la lente désintégration du couple qu'il formait avec Lily, la mère de ses trois enfants. Lily était la femme de sa vie, celle qu'il aimait au-delà de tout, celle pour qui il était prêt à tout. Elle était dépressive, dépendante d'un barbiturique qui la rendant imprévisible, inconséquente, incapable d'assumer son quotidien de mère et de compagne. L'homme est élagueur dans l'entreprise que son patron a repris à son père. Lui aussi vit une situation difficile avec son épouse et avec son père vieillissant. Une relation d'amitié s'est nouée entre eux deux qui lui permet de compenser les sautes d'humeur de Lily. Revenant de le voir sur son chantier, elle manque un virage et jette la voiture dans un torrent, femme et enfants s'en sortiront sans dommages. L'accident marque un tournant dans sa vie. Elle se ressaisit, décide de préparer un concours pour devenir aide-soignante. Elle passe alors tout son temps libre, et même plus, sauf quand elle court, à le préparer. Alors qu'elle est enceinte d'un troisième enfant, et que les choses semblent aller mieux, elle annonce sa décision de rompre, de prendre le large, d'aller habiter avec ses enfants aux environs de Lyon où elle a retrouvé une amie d'enfance, quand elle aura réussi son concours...

    Ce premier roman est d'une grande profondeur. Avec une écriture fluide et dense, Ludovic Robin raconte la dissolution d'un couple au sein duquel l'un continue d'aimer l'autre.
    Selon l'éditeur, l'auteur pratique "une auscultation méticuleuse du quotidien". Reconnaissons l'exactitude du propos. Le narrateur relate deux années de sa vie de couple et d'élagueur avec une mémoire d'entomologiste. Il n'oublie aucun des événements marquants, ni l'écho qu'ils ont provoqué dans sa sensibilité, sa relation avec Lily, chez ses enfants, son employeur, et même à un client. Il signale ainsi l'intensité de son amour pour Lily, et son attachement à la forêt et à la montagne. Une montagne qui n'est pas qu'un décor, qui est le terreau de son existence, ce qui lui donne son assise et sa stabilité. L'homme a quelque chose de la rudesse de la montagne.
    Dans cette histoire, Lily est une jeune femme brillante -les résultats de son concours le montreront, "bagarreuse, présente sur tous les fronts à la fois" sauf quand elle s'effondre dans une dépression que ne comblent pas les barbituriques dont elle est dépendante. Alors que la volonté de son compagnon est de fonder une famille et de la maintenir unie, elle garde son indépendance, se fixant un objectif et s'y tenant quoi qu'il se passe.
    La lecture de cette histoire ne laisse pas d'être admiratif devant un tel amour, en même temps qu'elle instille une sourde douleur chez le lecteur, qui, prévenu par la présentation, sait que le couple ira à sa fin. Pourtant, on ne trouvera aucun propos malveillant envers Lily, aucun grief, aucun reproche. Alors qu'il sait quand elle partira, il continue de l'aider à préparer son concours, il prend soin des enfants pour lui laisser le temps d'étudier. Ce faisant, l'auteur oblige à se poser des questions : comment fait-il, comment peut-il continuer à aimer l'autre quand il n'y a plus de réciprocité, comment reste-t-il calme et serein lorsque l'autre est imprévisible, où trouve-t-il la force qui le meut ? Il est convaincu "qu'une part de sauvagerie est nécessaire dans l’édification de [sa] liberté", comment parvient-il à la borner ? Comment peut-il "aller en paix" ?
    Une très belle lecture, prenante, qui procure de l'émotion en allant loin dans la quête du sens de ce qui est vécu.