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Le ciel ne parle pas

Morgan Sportes

Fayard

  • Conseillé par
    13 septembre 2017

    C'est porté par sa foi et galvanisé par l'exemple de saint François-Xavier, mort en martyr en 1552, que le jeune jésuite portugais Christóvão Ferreira arrive à Nagasaki en 1609. Sa mission d'évangélisation tourne court quand les japonais décident de mettre un terme au prosélytisme exacerbé des chrétiens. S'ils continuent à commercer avec les anglais, espagnols, portugais et autres hollandais, les nippons refusent très vite leur religion jugée extrémiste et intolérante et se méfient des velléités colonisatrices des ibères. Et ils le font savoir ! Les missionnaires et les convertis sont pourchassés, arrêtés, torturés et doivent renier leur foi ou mourir en martyr. Dès 1614, Ferreira entre dans la clandestinité et survit ainsi en territoire ennemi jusqu'à son arrestation en 1633. Mis à la torture, le jésuite ne met pas longtemps à abdiquer. Il réclame grâce, apostasie et se convertit au bouddhisme. Contraint à se marier pour prouver sa sincérité, Ferreira devient mari et père, traducteur lors des pourparlers commerciaux et pousse la traîtrise jusqu'à écrire un pamphlet virulent contre sa religion de naissance. Lâche, sceptique ou les deux, Christóvão Ferreira reste une énigme en même temps qu'une plaie dans l'histoire du christianisme.

    D'abord il faut saluer l'immense travail de documentation qu'il a fallu fournir pour écrire ce roman qui dresse un vivant portrait du Japon du XVIIè siècle, moment-clé où les shoguns Tokugawa s'alarment de la présence des occidentaux dans leur pays sans pour autant renoncer au commerce des produits venus des comptoirs chinois. Bien décidés à rester maîtres chez eux, ils imposent des conditions de plus en plus drastiques aux marchands hollandais, espagnols ou portugais. Dans cette société très hiérarchisées et protocolaires, les occidentaux font figure de sauvages irrespectueux. Leur orgueil, leur supériorité supposée et le prosélytisme les ont conduits à excéder les japonais qui ont pris les mesures adéquates : interdiction aux hommes d'église de fouler le sol japonais, désarmement des navires et construction d'une île artificielle dans le port de Nagasaki pour les ''parquer'' durant leur séjour. Les catholiques et les convertis sont torturés et contraints à mourir ou à apostasier. Dans cette guerre de religion, le fanatisme n'a pas de limites. Dans toute l'Europe, des hommes sont prêts à venir mourir en martyr sur le sol nippon tandis que les shoguns perfectionnent leurs techniques de torture.
    Ce moment d'histoire, centré sur la personnalité ambiguë de Christóvão Ferreira, est raconté par un Morgan Sportès au ton mordant. Il s'en prend aussi bien aux fanatiques, qu'aux apostats, aux marchands qu'aux japonais avec une espèce d'ironie légèrement condescendante. Cela pourra gêner les croyants mais amuser les autres. Car il ne faut pas oublier que derrière l'humour se cachent des sujets sérieux comme la foi, la manière dont certains veulent imposer leurs croyances, l'ingérence des occidentaux dans des états souverains et bien sûr l'extrémisme qui rend aveugle et sourd.
    Parfois difficile d'accès, ce roman, qui n'en est pas tout à fait un, est une mine d'informations sur l'époque et ses mœurs. À réserver aux passionnés de théologie et du Japon.