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Ruines

Pierre Lepape

Verdier

  • Conseillé par (Librairie La Grande Ourse)
    21 janvier 2021

    La littérature s'en va...

    Les ruines qui donnent leur titre au livre sont celle que l'auteur, enfant, découvre à la fin de la guerre, en sortant de la gare du Havre, de retour dans sa ville natale, qu'il a fuie avec sa famille pour échapper aux bombardements alliés. En une image saisissante il décrit un paysage de décombres, une ville effacée « comme une ardoise qu'on frotte avec sa manche ». Ces ruines, évidemment, ne sont pas seulement celles d'une ville, mais aussi celles d'un monde.
    Dans une autre très belle image, plus loin dans ce chapitre inaugural éblouissant, Pierre Lepape rappelle que « dans les champs de ruines, il y a des orties. Elles semblent témoigner de l'infinie capacité de la nature à entretenir de la vie sur les lieux mêmes de l'abandon et de la mort. (…) La littérature a été en ce temps, le champ d'orties dont on avait besoin pour ne pas tout céder au vertige de la poussière ».
    « Ruines » est avant tout un essai d'histoire littéraire : une histoire sensible et personnelle, celle de l'enfant qui s'est construit à travers les livres dont il admirait les couvertures dans la vitrine de la librairie Dombre (le nom dira quelque chose aux vieux Havrais), ou qu'il empruntait à la bibliothèque municipale (pas l'actuelle, mais celle qui était alors installée dans une aile du Lycée François 1er, toute de lambris et de parquets cirés ; là encore le lieu parlera aux vieux Havrais). Mais aussi une histoire critique et engagée, qui embrasse rien moins que trois quarts de siècle, de 1940 à nos jours. Pour Pierre Lepape la « croyance littéraire » (qu'il faut comprendre comme « amour de la littérature »), exaltée par trente années d'une richesse de création sans égale (les années de l'entre-deux guerres) s'est effondrée avec les compromissions du milieu littéraire sous l'occupation, les affrontements idéologiques des années d'après-guerre, le nouveau roman et « l'ère du soupçon » dans les années soixante, la critique universitaire dans les années soixante-dix, et aujourd'hui l'avènement des écrans et de la culture de masse qui leur est liée. « la littérature s'en va , à coup sûr, et nous ignorons tout de ce qui lui succédera » conclut-il. On peut ne pas être d'accord avec ce point de vue, mais celui qui fut le brillant critique littéraire qu'on sait au journal « Le Monde» connaît son sujet. Et comme il préfère la finesse de l’analyse au facilités de la polémique, on apprend et on réfléchit beaucoup à sa lecture.
    Livre teinté de mélancolie, « Ruines » n'est pas pour autant pessimiste. « Nous nous promènerons dans les ruines, attentifs aux orties qui pousseront dans les gravats » conclut l'auteur. Et de la disparition de la littérature naîtront « des formes encore inconnues ». Car au fond qui sait ce qu'est la littérature ? Voilà la vraie question.

    Jean-Luc