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L'espionne de Tanger

María Dueñas

Robert Laffont

  • Conseillé par
    19 novembre 2012

    Dans le Madrid des années 30, Sira Quiroga mène un vie bien rangée aux côtés de sa mère, que ce soit dans leur modeste appartement ou dans l'atelier de Madame Manuela où elles sont toutes deux couturières. Fiancé au gentil Ignacio, elle prévoit de se marier bientôt mais avant cela il lui faut consolider sa situation professionnelle. En effet, l'époque est troublée. La République a fait fuir les riches madrilènes vers la campagne et les clientes se font rares à l'atelier. Poussée par Ignacio, Sira décide de devenir fonctionnaire mais pour cela il lui faut apprendre la dactylographie. Les fiancés se mettent donc à la recherche de la parfaite machine à écrire sans se douter que cet achat bouleversera leur vie à tout jamais.


    La sage et raisonnable Sira tombe éperdument amoureuse du gérant de la boutique Hispano-Olivetti, le séduisant et sensuel Ramiro, de dix ans son aîné. Faisant fi de son éducation et de ses principes, elle rompt ses fiançailles et devient sa maîtresse. Ensemble, ils quittent Madrid en proie aux troubles et gagnent Tanger pour y monter une affaire. Mais le beau Ramiro n'est pas homme à rester en place. D'autres aventures l'appellent et il quitte Sira en la dépouillant de tous ses biens.
    Seule, ruinée et criblée de dettes, Sira trouve refuge à Tetouan, capitale du Protectorat espagnol au Maroc. Retourner en Espagne est impossible. La guerre civile a éclaté et le détroit est bloqué. Après des mois de déprime, la jeune fille, aidée par la propriétaire de la pension où elle vit, monte une maison de couture qui deviendra bientôt l'endroit où toutes les femmes en vue de Tetouan viennent s'habiller. C'est le début pour Sira d'une vie d'aventures bien loin de tout ce qu'elle pouvait imaginer...

    Attention! Ce livre est un piège! Dès qu'on lit les premières phrases, on est emporté par la plume de Maria DUEÑAS dans la vie de son héroïne et l'on ne peut plus s'empêcher de lire et de lire encore, sans jamais s'arrêter.
    Sira, la couturière qui a de l'or au bout des doigts, évoque ses souvenirs sans rien cacher de ses peines, ses joies, ses déconvenues, ses craintes, ses faiblesses. Tout au long du roman on assiste à la métamorphose d'une jeune fille timorée qui subit les évènements, tantôt guidée par sa mère, tantôt par un homme, sans conscience politique véritable en une femme forte et sûre d'elle qui décide de sa vie et prend des risques pour ce qu'elle croit bon pour son pays. Au gré de ses rencontres, elle se fera des amis aussi bien parmi les anonymes que parmi les personnalités en vue. De couturière elle deviendra espionne pour le compte des services secrets britanniques et voyagera de Tanger à Madrid en passant par Lisbonne, toujours en quête de renseignements utiles à ceux qui l'emploient et qui ont pour but la neutralité de l'Espagne de Franco. Avec elle, on découvre la deuxième guerre mondiale sous un autre angle, depuis le Maroc préservé jusqu'à l'Espagne et le Portugal qui louvoient entre les puissances de l'Axe et les Alliés. Entre ceux qui veulent profiter de la guerre pour faire fortune en commerçant avec l'Allemagne et ceux qui veulent se rapprocher de la Grande-Bretagne pour arrêter Hitler, Sira apporte sa petite contribution pour démasquer les uns et aider les autres.
    Et Sira, héroïne belle et courageuse, n'est pas la seule pépite de ce livre. Les personnages secondaires hauts en couleurs tiennent aussi une place de choix, que ce soit Candelaria la Contrebandière qui aidera Sira à monter sa maison de couture ou Felix son voisin sous l'emprise d'une mère despotique qui fera son éducation culturelle, ou encore Juan Luis Beigbeder, haut-commissaire de Tetouan, amoureux fou du Maroc et de son peuple et de sa maîtresse, l'extravagante britannique Rosalinda Fox, et qui deviendra le Ministre des Affaires Etrangères de Franco. Tous ceux qui gravitent autour de Sira (personnages réels ou fictifs) contribuent à faire de ce livre un grand moment de lecture. On s'attache, on pleure, on frémit, on s'enthousiasme avec eux et c'est avec regret qu'on les quitte en tournant la dernière page. Un énorme coup de coeur.