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Lettre sur le pouvoir d'écrire

Claude Edmonde Magny

Climats

  • Conseillé par
    30 août 2012

    Eloge de la littérature.

    En 1943, Claude-Edmonde Magny écrit une lettre (La «lettre sur le pouvoir d’écrire») à Jorge Semprun (1923-2011).
    Il a vingt ans. Elle a trente ans.
    Jorge Semprun a rencontré Claude-Edmonde Magny au cours d’un congrès du mouvement Esprit, autour de la revue intellectuelle fondée en 1932 par Emmanuel Mounier.
    Mais Jorge Semprun ne lira cette lettre qu’à son retour du camp de Buchenwald en 1945, la veille du bombardement atomique d’Hiroshima.
    Depuis elle l’accompagnera sa vie durant.
    Ecrire ou (re)vivre ?


    Semprun a le vertige : doit-il, peut-il écrire l’expérience des camps d’extermination ?
    «L’écriture m’enfermait dans l’univers de la mort, m’y étouffait irrémédiablement.» écrit-il alors.
    Cette lettre va le conduire sur le chemin d’écriture.
    «Je l’ai emportée avec moi dans toutes les circonstances de ma vie, y compris les voyages clandestins.»

    Cette lettre paraît pour la première édition en 1947 chez Seghers.
    300 exemplaires d’un petit volume d’une cinquantaine de pages.
    La voici rééditée chez Climats Flammarion.

    Claude-Edmonde Magny, de son vrai nom Edmonde Vinel, est agrégée de philosophie et spécialiste du roman américain (Aldous Huxley, entre autres).
    Elle écrit des articles pour la revue Esprit sur Georges Bataille, sur les écrivains de la déportation et sur Sartre, Joyce, Malraux, Mauriac, Balzac.

    Claude-Edmonde Magny a la «foi» en la valeur de la littérature, celle qui contemple, impuissante, la souffrance du monde.
    Celle qui dévoile, celle qui sait recevoir toute l’émotion du lecteur, de n’importe quel lecteur afin qu’il puisse s’y glisser et prendre forme.
    Le lecteur anonyme et multiple.
    L'écrivain : «Je l’aime pour son amour et sa compréhension du petit peuple.»

    Rimbaud, Georges Bataille, Balzac.
    Les écrivains au grand cœur.
    «On ne peut faire quelque chose de réussi que lorsqu’on écrit comme le fit Balzac avec l’être tout entier.»

    Le «mauvais» (le faux ? l’égoïste ?) écrivain, lui, n’est pas assez «dépris» de soi, trop accaparé, obsédé par sa propre belle personne.
    «Narcisse ne peut se voir tel qu’il est, ni connaître les autres. Son reflet fait écran entre le monde et lui, entre lui et lui.»
    Un message, un avertissement aux écrivains (écrivaillons ?) d’aujourd’hui trop encombrés d’eux-même.
    A leurs «vrais-faux» (ou faux-vrais, allez savoir) romans autobiographiques et autres autofictions «égocen-étriquées» (ne cherchez pas, ce mot je viens de l’inventer ici-même) qui pullulent, peu généreux voire suffisants, dans les conventionnelles et conspuantes vitrines des librairies ou les tristes et crétines lucarnes télévisuelles. Ceux-là, vous les reconnaîtrez, j'en suis persuadé.
    Nicolas Rey ? Bernard-Henri Lévy ? Oui, pourquoi pas.
    Qui d'autres ?
    Oui celui-là aussi je l’avais noté. Celui-ci également.
    Nous sommes d’accord.
    Je vous laisse compléter la liste...cette rentrée littéraire 2012 grouille d'écrivains qui se regardent écrire.
    Alors c'est plus fort que moi, je ne peux m'empêcher de citer ce cher Eric Chevillard :
    «Mais c’est ainsi ; je jouis à ce poste d’un point de vue tout à fait singulier sur la littérature : jamais les personnages de roman n’avaient si volontiers offert leur trou de balle aux regards et à l’intromission, c’était même à se demander s’ils en étaient pourvus auparavant, s’ils ne cachaient pas honteusement ce vice de conformité sous les crinolines et les redingotes. Cette hypocrisie n’a plus cours. Dans les derniers livres d’Anne Weber, Guillaume de Sardes, Nicolas Rey, Florian Zeller ou Christine Angot – de bons et de mauvais livres, là n’est pas notre propos –, le lecteur rencontre ainsi quelques pages plus étroites, plus resserrées, où il est invité à entrer plus avant dans l’intimité du personnage.
    Mais tout de même, quel étrange rassemblement d’auteurs autour du petit orifice ! C’est à croire que nous avons affaire à une grande découverte ; et comme si, après avoir longtemps tâtonné, la littérature mettait enfin dans le mille.»
    Désolé mais c’était plus fort que moi !

    «Sans bon sentiment, l’on ne fait que mauvaise littérature.» écrivait Gide.

    Claude-Edmonde Magny est une amante exigeante des écrivains.
    Très amoureuse de Balzac.
    Impitoyable, elle sait trouver le mot qui «tue»...le lecteur.
    Comme dans ce passage de «Madame Bovary» où Flaubert, à la recherche du mot parfait, compare, le bruit des lacets du corset de Mme Bovary qui se détachent à des sifflements de serpents.
    Le mot juste qui sonne faux ?

    Cette lettre est une déclaration d’amour aux écrivains, à la littérature, au Livre (avec un grand L).
    Destinée à prévenir Jorge Semprun des dangers, des sacrifices de l’écriture, elle sera aussi avertir les écrivains encore en culottes-courtes...aux dents longues...trop longues...

    «Ecrire est une action grave, et qui ne laisse pas indemne celui qui la pratique.»

    Vous voilà prévenus chers plumitifs besogneux qui voulaient raconter votre vie !
    Bon courage !