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Conseils de lecture

Inculte-Dernière Marge

Conseillé par (Librairie Nouvelle)
17 novembre 2020

" Et alors ? Elle est réelle ? "

Existe-t-il une différence de nature entre la vérité et le réel ? Y a-t-il une place pour un faux véridique, plus vrai que vrai, en particulier dans la fiction ? Cela importe t-il vraiment au lecteur que nous sommes ?

À l'instar d'une carte, représentation faussée d'une sphère sur une surface plane, le narrateur de ce poignant roman va tenter de résoudre ce hiatus en menant l'enquête autour de Rosamond, ville éthérée puisque de papier. Sa création au début du XX eme siècle est l'œuvre du cartographe Desmond Crothers, contraction de son prénom et de Rosamelia, sa fiancée, symbole de leur union.

Nous voilà alors lancés sur les traces d'un lieu n'ayant aucune existence légale certes, mais regorgeant de présences humaines. D'un concours tragique de Miss au projet fou de Walt Disney, des photos de Stephen King sur place à la présence supposée de Jimi Hendrix et d'une communauté hippie, cette collection d'indices donne vie au tableau d'une (presque) ville, un tiers lieu existant sur un autre plan que la géographie physique. Émouvant et tendre hommage aux vertus et à la puissance de la fiction pour ancrer dans notre imaginaire et notre mémoire un lieu au-delà du réel.

Rosamond n'est pas près de sombrer dans l'oubli auprès des lecteurs de ce roman, réalisant ainsi le souhait de son narrateur.

Avez-vous vous aussi été en présence de lieux imaginaires qui semblent plus vrai que certains endroits physiques ?

Martin

"Des gens qu'il faudrait ne pas oublier, il y en a tellement, des centaines de milliers, des millions. Mais que veux-tu, c'est plus fort que moi. Je ne leur redonne pas vie, c'est sûr, mais je serais déjà incroyablement fier si je faisais en sorte qu'ils continuent d'exister dans l'esprit d'une poignée de lecteurs fascinés par cette histoire. Ce serait même, je crois, ma plus grande fierté. "


Anne-Marie Métailié

18,00
Conseillé par (Librairie Nouvelle)
17 novembre 2020

Vivre ici et maintenant

Commencer un roman de Pablo Casacuberta, c'est toujours avoir la certitude d'être décontenancé par les méandres d'une intrigue tortueuse, pourtant étonnamment resserrée ici.

L'auteur de Scipion et de Ici et maintenant introduit Tobias Badembauer, célibataire de cinquante ans vivant encore chez maman et hypocondriaque compulsif.

À l'instar du personnage Hanibal dans Scipion, complètement affaissé sous le poids d'un père historien national récemment décédé et manipulateur grandiose, Tobias est obsédé par son géniteur, colonel mort pendant la grossesse de sa mère, et par le motif même de sa mort, qu'il suppose être la même maladie obscure et aux symptômes fluctuants qui le ronge. À quoi s'ajoute une mère qui cherche inlassablement à entrer en contact avec son défunt mari par la fréquentation de voyants et autres spirites.

Heureusement Tobias semble avoir trouvé un père de substitution avec le docteur Svarsky dans le cadre de leur rendez-vous à l'immeuble Mignon, médecin homeopathe au bout du rouleau, qui s'évertue à convaincre Tobias qu'il a une "santé de fer", avouant par là n'être qu'un escroc.

Engagé malgré lui dans une mission sauvetage pour redorer l'honneur du docteur Svarsky et sauvegarder sa foi en sa propre incapacité à vivre, Tobias se découvrira en une seule journée des ressources insoupçonnées et une capacité d'analyse étonnante pour un névrosé comme lui.

Tour à tour drôle, pathétique puis féroce, Une santé de fer nous embarque dans la psyché et les souvenirs d'un grand malade éclatant de vitalité, et se révèle être un vibrant plaidoyer pour la vie et contre l'idéalisme que représente tout report des joies infimes de l'existence dans un ailleurs improbable.

Martin

" Mais si quelque chose s'imposait aussi dans tous ces fragments éphémères de souvenirs, c'était l'image aléatoire, déboussolée et gratuite de ma conduite, la sensation prégnante d'arriver trop tard, de perdre le fil, de me présenter toujours au mauvais endroit. A chaque triste évocation de mon passé, si lointain soit-il, on pouvait déjà entrevoir cette maudite habitude de demander aux autres qu'ils me donnent des explications, m'indiquent ce que je dois faire, formulent des diagnostics et me prescrivent des médicaments, autrement dit qu'ils fassent de moi ce qui tout bonnement leur plairait sans que jamais il me vienne l'idée de relever l'un ou l'autre de ces défis. "


21,00
Conseillé par (Librairie Nouvelle)
17 novembre 2020

Sous le signe des Gémeaux

Il était une fois Gabriel et Raphaël, nés jumeaux fusionnés au sein d'une fratrie peu commune de quatre frères et deux sœurs. Nous sommes apparemment en Italie si l'on en croit la coloration des noms propres, mais vous chercheriez vainement l'île de Sainte-Marie-des-Deux-Mers, son pendant maudit Matto-Matta ou la capitale Abbru sur une carte et c'est tant mieux. Ici les habitants sont un peu pêcheurs, contrebandiers puis pirates, et surtout rétifs à toute forme d'autorité centrale.

Bientôt un don est révélé aux siamois (appelés aussi Quatre-Couilles ou Les Deux-Voix), ce chant qui se révèle capable de plier les volontés et les éléments, attisant encore plus les peurs et les convoitises à l'encontre des jumeaux controuvés et déchirant bientôt la famille et le voile d'illusion l'entourant. Il leur faut partir pour vivre et grandir. Un don qui compose les plus belles pages de ce roman d'une densité et d'une texture exceptionnelle.

J'ai lu il y a quelques années maintenant un très beau et très curieux recueil de sept nouvelles, Cigogne, ou déjà s'entremêlaient de manière finement ciselée le fantastique et la richesse onomastoque de l'auteur (les frères siamois y étaient présents).

De manière identique j'ai été embarqué par l'atmosphère enchanteresse de cette Italie fantastique et le cheminement des deux frères controuvés. Ce foisonnement de personnages et d'intrigues révèle la générosité d'un auteur qui a pris plaisir en réinjectant dans le récit une quantité incroyable d'influences et de références que le lecteur s'amusera à retrouver (éviter de tricher en allant voir les remerciements).

Qu'il me soit permis ici de mentionner quelques uns de ces êtres d'exceptions : Salvo-l'Aîné, Viviano-Deuxième, d'Agrigente le prêtre défroqué-refroqué, un Rabbin, Raspoutine le diable, un homme-tigre, une femme-poule, etc. Toute une ménagerie qui s'agite et lutte devant nos yeux pour notre plus grand bonheur.

Un roman merveilleux qui a pour moi la saveur des contes de l'enfance.

Martin


16,00
Conseillé par (Librairie Nouvelle)
17 novembre 2020

Un recueil de nouvelles existentielles et contemporaines

Cela faisait un petit moment que je n'avais pas lu de recueil de nouvelles, ni de littérature de l'imaginaire. Quoi de mieux alors que de découvrir Charles Yu, auteur américain à la renommée affirmée, déjà publié dans le New Yorker, qui allie avec un solide sens de l'humour forme brève et mélancolie, solitude existentielle et dystopie.

"Je vais au travail.
Je clique sur les missions.
Je referme les tickets.
Quand je rentre chez moi, l'appartement me semble vide. Il est toujours vide, mais plus encore aujourd'hui. Un vide évidé.
Je l'appelle, je ne sais pas quoi dire. J'inspire et j'expire dans le combiné. "

Un recueil de nouvelles aux situations et aux époques variées, où la dépression affleure et ou l'angoisse de l'individu face aux impératifs et aux dérives technologiques d'une société menaçante ne sont balancés que par un humour absurde omniprésent.

Mention spéciale à la nouvelle "Le héros subit des dégâts considérables" dont le traitement paraîtra facile à certains mais qui fera rire plus d'un geek amateur de jdr.

" Selon la prediction, il y aura deux cent cinquante-cinq combats sur le chemin de notre destinée.
Lors de la dernière bataille, le combat numéro 256, nous ferons face au boss final.
Une aventure passionnante.
Et ce fut le cas, pour un temps.
Nous sommes au matin du combat numéro 253.
Je crois.
Difficile à dire, ceci dit.
Pour être tout à fait honnête, les grands affrontements entre forces du bien et du mal semblent épiques pour un temps, mais passés les deux cents premiers, ils commencent à tous se ressembler. "

Martin


Alberto ONGARO

Anacharsis

9,00
Conseillé par (Librairie Nouvelle)
17 novembre 2020

Chercher la femme

M.Schultz, éditeur vénitien de son état, se languit doucement dans son palais légèrement décati. Un soir, il découvre au-dessus d'une armoire un mystérieux manuscrit du XVIIIeme siècle relatant la passion équivoque à travers l'Europe de Jacob Flint pour la libre et sulfureuse Nina, tenancière à Londres de La Taverne du doge Loredan et liée au terrible baron du crime Fielding.
Avec son assistant et mauvais génie Paso Doble, les deux lecteurs vont passer une nuit fiévreuse à tenter de décrypter un texte aux nombreuses pages manquantes.

Bientôt les correspondances entre la vie de Schultz et son alter ego de papier s'enchaînent alors que la nature de ce texte et les enjeux de cette lecture se mettent à muter...

Difficile de ne pas être pas enthousiasmé par la mécanique narrative d'Albert Ongaro d'une efficacité redoutable et qui confine ici au génie.

L'alternance entre les passages narrés par Flint (hommage truculent au roman d'aventures et libertin du XVIIIeme siècle) et ceux de Schultz plusieurs siècles plus tard, dans la même ville fantomatique de Venise, se déroule et s'enchaîne avec une grâce et une fluidité magique.

Tout le roman est une métaphore gigantesque de la condition de lecteur et des pouvoirs magiques dont celui-ci se voit le récepteur, que Schultz très vite n'ignore plus dans ses réflexions.

Un chef-d'œuvre de fiction, un hommage et un rappel à la puissance de transformation de celle-ci sur nos vies.

Martin