Changements d'adresse

Changer d’adresse, ce n’est pas seulement substituer un chez-soi à un autre.
Car nous habitons en réalité deux espaces à la fois : celui que nous occupons,
situé mais imparfait, et celui que nous imaginons comme plus intimement nôtre.
Parce que leur coïncidence matérielle est impossible, notre domicile est un
compromis passé entre eux, que chaque déménagement oblige à recommencer,
renégocier ou reconstruire. Dans l’intervalle, il nous oblige à vivre un
entre-deux de l’ici et de l’ailleurs, du passé et de l’avenir, dans l’attente
d’une vie nouvelle qui ne pourra sortir entièrement de nos cartons. Dans cette
mise en suspens du chez-soi, notre existence rencontre parfois le risque d’une
dépossession, mais aussi les ressources d’une réinvention plus profonde. Que
prendre et que laisser derrière soi pour y parvenir ? Où s’arrête la quête du
chez-soi ? Quel est cet emplacement véritable que recherche profondément le
changement d’adresse et où pourraient se réconcilier l’ici et l’autre part ?
a/ Il y une distinction entre l’espace réel que nous habitons avec ses
contraintes, et l’emplacement rêvé où nous projetons le fantasme d’un lieu
propre à notre individualité. Tout domicile est un compromis entre ces deux
aspects du « chez-soi », que le déménagement oblige à remettre en question. b/
Notre domicile exprime l’intériorité psychologique et affective de notre moi,
mais il lui donne aussi une réalité profondément concrète. Le déménagement
oblige dès lors à la réaménager dans un nouveau lieu. C’est une part de notre
identité qui est ainsi mise en suspens dans les cartons où nous transportons
nos affaires, et qu’il nous faut redéfinir, désencombrer et alléger, selon ce
que nous gardons et laissons derrière nous. c/ Il y a donc une dimension
existentielle du déménagement, comme expérience d’une vie suspendue entre deux
domiciles où elle est susceptible de s’inscrire. Il ouvre ainsi la possibilité
d’une dépossession de soi, ou au contraire d’une réappropriation créatrice
plus profonde de notre être.