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Tortues
EAN13
9782889071104
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE FRANCAIS
Langue
français
Langue d'origine
français

Tortues

Zoé

Domaine Francais

Livre numérique

  • Aide EAN13 : 9782889071098
    • Fichier EPUB, avec Marquage en filigrane
    9.99

  • Aide EAN13 : 9782889071104
    • Fichier PDF, avec Marquage en filigrane
    9.99

Autre version disponible

Comment faire quand on a une peur panique d’oublier, quand se souvenir est
plus agréable que vivre ; et que dans le même temps, notre plus grand fantasme
est celui de l’allègement au point qu’un simple baluchon suffise pour tout ce
qu’on possède ? Pour son premier job, Bruno est chargé de « s’occuper » des
archives d’une écrivaine. Il ne sait pas ce que cela signifie, personne ne lui
en dit plus, le voilà un été entier livré à lui-même dans l’appartement d’une
écrivaine récemment décédée : « Je croisais des fragments très intimes sur ses
tristesses, ses doutes, sur son corps et ses habitudes. Même quand la première
page portait la prière ou l’injonction de ne pas lire, moi je lisais, je
devais. (…) . Je passais mes journées à déchiffrer ses gribouillis, plus tard
j’irais m’allonger sur son lit, et maintenant je l’écoutais parler, me parler,
sa voix s’élevait à nouveau dans son appartement. Je sursautais au moindre
bruit. Je ne sais pas à quoi je jouais." L’occasion de réfléchir à ce que veut
dire archiver. Une émission à la radio l’y aide : « Un archiviste résumait son
métier : permettre à certaines pièces d’exister à travers le plus grand nombre
d’années possible. Sa tâche principale, expliquait-il, était de faire le tri.
(…) tout conserver équivaut à ne rien conserver, la masse s’annule sous
l’effet de son expansion." Bruno note ses journées pour leur donner une forme:
"Moi aussi je voulais exister dans l’aplomb des phrases, avec cette
concentration et ce rythme, et pouvoir les relire plus tard. Mes notes de ce
jour-là – la terrasse ombragée, mon poing sur le carnet – donneraient forme à
ce qui, sur le moment, était indistinct, noyé dans le flux, comme si vivre ne
s’accomplissait réellement qu’après coup. (…)" Mais il lui arrive de n’en plus
pouvoir, de toutes ces notes, elles lui donnent la nausée, le vertige, une
grande honte aussi : "J’ai eu envie de jeter toute ma paperasse, un feu de
joie et qu’on n’en parle plus. La pensée éblouissante que rien ne m’attachait
définitivement à rien." Enfant, il aspirait à une sobriété qui frôle le vide,
pour réduire à l’essentiel ses possessions et ne prendre que le meilleur au
cas où il lui aurait fallu quitter précipitamment la maison : "Dans la lumière
du dimanche matin, toujours sans faire de bruit, il ouvre les tiroirs de son
bureau et en dépose le contenu sur le sol de sa chambre. La pile lui arrive à
la taille, il entreprend de la réorganiser : d’un côté les choses en papier,
dessins en vrac, cahiers d’école, de l’autre le reste, crayons de couleur et
stylos-feutres, figurines en plastique, sa collection de pin’s. Il évalue les
objets un à un et entasse près de la porte ce dont il se débarrasse, comme ce
caillou, si brillant le jour où il l’a trouvé, une pierre précieuse dont
l’éclat s’est terni. Il teste chaque stylo, sans pitié pour les mines
fatiguées ou les encres pâlies. Sa collection de pin’s, il n’est pas encore
prêt à s’en séparer. Il ne peut pas jeter sans distinction mais il veut voir
grossir ce tas près de la porte, sentir que sa chambre s’allège." Pendant les
vacances au camping, le moment où toutes les affaires de la famille
éparpillées sur leur parcelle se replient dans le mobile home, est un instant
magique : "De camping en camping, l’enfant assiste émerveillé à ce mouvement
vers l’intérieur, l’espace qui se rétracte, le territoire ramené aux limites
physiques du bus, une tortue sous sa carapace. Ce rituel du départ produit en
lui quelque chose qui ressemble à du soulagement, comme s’il l’avait échappé
belle. La famille redevient mobile, complète et légère." De son voyage en
famille en Turquie, il ne se souvient de rien, rien de rien. En revanche des
huit semaines passées en Angleterre, tout lui revient, sans aucun effort, des
différences en anglais entre la tortue de terre et celle de mer, de la
moquette de la pension, de Matilda qu’il lit en anglais « Je déchiffre phrase
après phrase. C’est comme réapprendre à lire. (…) huit semaines intactes,
magiques, closes sur elles-mêmes, un bloc de temps parfait » A l’âge de 33
ans, notre héros un brin obsessionnel, celui qui n’arrive toujours pas à
descendre à la cave après le coucher du soleil, se sent capable de faire la
paix avec l’oubli… "L’oubli, en voilant les images, m’a permis peu à peu d’y
voir plus clair, d’inventer une cohérence. J’éprouvais davantage de plaisir à
me remémorer ces choses floues que je n’en avais eu à les vivre sur le moment.
J’ai imaginé un livre construit comme un atlas lacunaire, dont le mouvement,
sans fidélité aux événements réels, épouserait l’organisation géographique de
ma mémoire." Né en 1988, Bruno Pellegrino vit et travaille à Lausanne, après
des études de lettres qui l'ont amené à séjourner, entre autres, à Bâle à dix-
sept ans, en Indiana à vingt-deux ans, en Allemagne et en Italie. Son premier
récit, Atlas nègre (T!nd, 2015, réédité en Zoé poche sous le titre Comme Atlas
en 2018), a été finaliste du Roman des Romands, le Goncourt suisse des
lycéens. Là-bas, août est un mois d'automne et Dans la Ville proisoire ont été
récompensés par de nombreux prix, notamment par les Prix des libraires Payot,
Écritures et spiritualités, François Mauriac de l’Académie française, Dentan,
Paysages écrits » ( Fondation Facim) Avec Aude Seigne et Daniel Vuataz, il
cosigne la série littéraire Stand-by (deux saisons, publiés aux éditions Zoé
en 2018 et 2019 et Terre-des-Fins (Zoé, juin 2022). Il est éditeur aux
éditions Zoé depuis septembre 2022.
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