La petite Prigent

L’océan. Des milles nautiques à perte de vue d'eau salée, de vagues et de houle, forces des éléments et rêves d'évasion, promesses de voyage et d'aventure quand l'esprit s'embrume de bleus et de gris. Nuits d'encre que les cargos avalent pendant que les voiliers veillent et craignent. Mais ni tourisme ni croisière. L’océan comme un rempart, l'océan comme une carapace. Exorciser le passé, l'atmosphère étouffante d'un amour en perdition et vivre.Comment avait-elle pu se passer de ces heures de traversée, de cette danse du bateau sur la houle, de cette brumisation salée, de ces cheveux au vent et du sifflement dans les oreilles ? Comment avait-elle cru pouvoir oublier les cordages à contourner ou enjamber, les conteneurs à éviter, l'odeur familière du fioul, les sirènes de départ et d'arrivée, les cris des mouettes et des goélands, les mains qui s'agitent ou qui s'enfoncent encore plus dans les poches ?Au moment d'embarquer, Éléonore s'était efforcée de maintenir la tête basse pour éviter des yeux qu'elle imaginait connus ; pas maintenant, pas déjà. Pour les questions et les explications, on verrait plus tard, beaucoup plus tard – peut-être. Pour l'instant, il lui fallait se réconcilier avec l'océan, se laisser embrasser par les flots ; les êtres humains, c'était autre chose.