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La foudre frappe toujours deux fois
Format
Poche
EAN13
9782012004603
ISBN
978-2-01-200460-3
Éditeur
Hachette
Date de publication
Collection
Bibliothèque verte (1409)
Dimensions
18 x 11 x 1 cm
Poids
128 g
Langue
français

La foudre frappe toujours deux fois

De

Hachette

Bibliothèque verte

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1?>LA SURPRISE?>C'était il y a six mois, en février. À l'interclasse, Soizic et moi avions foncé vers la fenêtre. Pendant le cours précédent, de gros flocons avaient commencé à voleter derrière les vitres, comme des plumes silencieuses. C'est si rare, à Bordeaux ! Nous voulions voir si la neige tenait.Mais la déception fut grande. Le goudron de la cour avalait les flocons, dès qu'ils se posaient.« Oh, zut ! s'exclama Soizic, ma meilleure amie depuis la maternelle. C'est pas encore aujourd'hui qu'on verra les palmiers tout blancs ! »Elle voulait parler des palmiers du jardin public. Un grand parc que nous traversons lorsque nous rentrons à pied du collège, au lieu de prendre le bus.Je soupirai. J'aurais bien fait une bataille de boules de neige avec Théodore et Cyprien, les petits frères de Soizic. J'apprécie d'autant plus leurs jeux que, petite dernière à la maison, je n'y chahute pas assez. Mes soeurs sont trop cérébrales. Trop vite mûries, à mon goût.Je m'apprêtais à quitter la fenêtre quand, soudain, un curieux personnage pénétra dans la cour. Un grand adolescent, l'âge d'être lycéen plutôt que collégien, vêtu d'un blouson sombre, tête nue sous les flocons. Un jeune comme il en existe des milliers... Sauf que celui-ci tenait, bien droit devant lui, un étroit bouquet de fleuriste. Sa démarche avait un air solennel, concentré, tout à fait inhabituel. On aurait dit qu'il transportait un chandelier, et qu'il évitait de le pencher, pour que la cire ne coulât pas. Alors qu'en général, les garçons agitent leurs bras et leurs jambes dans tous les sens, pour faire sortir un trop-plein d'énergie.« Hé, Alice, t'as vu ce mec ? chuchota Soizic. Tu le connais ?— Non.— Je me demande bien pour qui est cette fleur...— On va voir ?— D'acc, super. »Nous n'avions pas de véritable récréation entre ces deux cours. Mais la prof d'histoire-géo serait en retard de dix minutes, comme d'habitude... Nous avons filé dans le couloir, couru jusqu'à l'escalier, qui fut dévalé en un temps record. Arrivées sur le palier du premier étage, nous nous sommes penchées au-dessus de la balustrade. À nos pieds, le garçon secouait sa tignasse mouillée. Puis il sortit un mouchoir en papier et essuya délicatement le papier cellophane qui entourait l'unique fleur : une rose rose.Il commença à gravir les marches. En étouffant nos rires, nous avons remonté un étage à reculons. Puis un deuxième. Lorsqu'il disparut dans un couloir, nous nous sommes précipitées pour le suivre.Il s'arrêta devant une porte, qu'un professeur avait refermée quelques secondes plus tôt ; un cours allait débuter. À dix mètres derrière lui, collées contre le mur, nous espérions qu'il ne nous aurait pas remarquées.Il frappa. Et entra, sans attendre la réponse.Nous avons glissé jusqu'à la porte ouverte, stoppé net juste après. Nous avons entendu :« Bonjour. Excusez-moi de vous déranger, madame. Vous comprenez, c'est la Saint-Valentin aujourd'hui. »La voix, forte, ne tremblait pas. La prof dut être aussi éberluée que nous, car elle n'intima pas au garçon de sortir immédiatement, comme beaucoup l'auraient fait à sa place. Je pouvais l'imaginer, bouche bée, craie à la main devant le tableau, transformée en statue.Quelques pas plus loin, il ajouta :« Bonne Saint-Valentin, Éléonore ! » d'un ton chaleureux mais toujours aussi digne.Nous n'avons pas perçu la réponse de la dite Éléonore. Était-elle surprise ? Gênée et fière à la fois ? A-t-elle bafouillé un « Euh... merci » si faible qu'il ne parvînt pas jusqu'à nous ?« Attention, il sort ! souffla Soizic. Il va nous repérer. »Elle poussa la porte des toilettes voisines, m'y entraîna. Par l'entrebâillement, nous avons vu passer le garçon. Un sourire radieux égayait son visage, ni beau, ni laid.Il était temps de retrouver notre classe. Nous avons doublé la prof d'histoire-géo, juste avant qu'elle entre dans la salle. Je jetai un dernier coup d'œil par la fenêtre : la neige commençait à tenir. Mais je n'y prêtai guère attention. J'accompagnais des yeux le jeune homme à la démarche tranquille, jusqu'à ce qu'il franchisse l'entrée du collège.Quelle chance avait cette fille, Éléonore ! Moi, on ne m'a jamais rien offert pour la Saint-Valentin. Et d'ailleurs, jusqu'à ce jour, je n'avais jamais eu envie qu'on m'offre des fleurs !Je ne savais rien de ce garçon, sinon qu'il n'était pas ordinaire. Il avait fait preuve d'un toupet rare. Et d'une manière si posée, si calme ! Il n'avait sûrement rien en commun avec les gamins tout fous de la classe. Il était amoureux d'une autre, qu'importe ! Il me plaisait quand même. Il me plaisait dans l'instant, comme ça, sans que j'imagine un prolongement possible.Je n'étais même pas certaine de le reconnaître si je le croisais un jour. Je me souvenais vaguement que ses traits manquaient de finesse et de régularité. Il me semblait qu'il avait les yeux clairs. Il était grand, plus âgé que nous, voilà mes seules certitudes.Dans les mois qui suivirent, son visage devint de plus en plus flou et je finis par l'oublier tout à fait. Par contre, deux ou trois fois, à la récréation, une Éléonore fut interpellée près de moi. Je sursautais. S'agissait-il de l'heureuse élue de la Saint-Valentin ? Alors, sur le fond gris de la cour, je revoyais la longue silhouette du garçon, le bras tendu, tenant fièrement une rose.?>2?>DANS MES VEINES, DU SANG D'AMOUREUSE?>Aujourd'hui, je ne pense presque pas à l'amour. Je pense à la rentrée. C'est moins intéressant, mais comment faire autrement ? Je n'ai même pas besoin de me concentrer, ce sont les questions qui fondent sur moi, de la plus importante : « Vais-je être dans la même classe que Soizic ? » à la plus insignifiante : « Les horaires du bus ont-ils changé depuis l'année dernière ? » en passant par « Mon père m'accompagnera-t-il jusqu'à la porte du collège ? ».« Alice ! crie-t-il justement depuis l'entrée. Tu mets quelles chaussures ? Tu veux que je leur donne un coup de cirage ? »Je sors la tête de la salle de bains. Serrant bien les lèvres autour de ma brosse à dents pleine de dentifrice, je fais des : « Hum, hum ! » désespérés. Comment ! Papa n'a pas compris que mes pieds ont tellement grandi que je n'ai vraiment plus rien pour me chausser ? Pas seulement parce que je ne rentre plus dans mes paires d'avant les vacances. Mais surtout parce que, dans les boutiques, rien ne me convient plus ! Les baskets me font une silhouette de clown, moi qui suis plutôt mince ; les mocassins me donnent des airs endimanchés qui m'intimident moi-même. Hier, je suis sortie des magasins bredouille, raclant le sol de mes espadrilles déglinguées.Je me rince la bouche et, du menton, je désigne, à mes pieds, le délicieux vestige de mes vacances.Mon père a l'air horrifié.« Quoi ? Tu ne vas pas commencer l'année avec ces trucs bons pour la poubelle ?— Attends, Daddy. J'ai quelque chose pour Alice. »Octavie, la moins vieille de mes deux sœurs aînées, disparaît dans son placard. Elle en ressort, triomphale, une paire de chaussures neuves à la main.« Je ne les ai presque pas mises. »Miracle, elles sont à la bonne taille. Et plus neutres que toutes celles que j'ai pu essayer. Ce sont des chaussures plates, on ne peut plus quelconques, couleur bleu marine. À vue d'œil, mes pieds en rétrécissent d'une ou deux pointures.Soulagée malgré tout par l'échange, je me donne un dernier coup de brosse devant la glace. J'aime mes longs cheveux bouclés. À la lumière de la salle de bains, ils s'illuminent de toutes les teintes d'automne entre l'or et le carmin. Dommage que, dans le miroir de l'entrée, ils redeviennent presque banals, châtain auburn. Qui saura voir les éclats blonds et roux qui s'y cachent ?J'enfile mon blouson. Mon père me sourit.« Alice, ma choupinette, est-ce que tu souhaites que je t'accompagne au collège, ce matin ? »J'ai tellement envie de dire oui ! J'ai beau avoir treize ans depuis trois jours, j'apprécie sa présence. Ce serait bien de savoir qu'il est là, derrière les grilles, lorsque je m'avancerai dans l'immense cour faussement plate, qui culmine avec le perron de la directrice. De là partiront les appels d'élèves, en ces minutes décisives où se jouera le bonheur de mon année scolaire. Pourvu, pourvu que je me retrouve avec ...
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