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L ete rouge
Format
Poche
EAN13
9782012096066
ISBN
978-2-01-209606-6
Éditeur
Hachette
Date de publication
Collection
Bibliothèque verte (809)
Nombre de pages
186
Dimensions
18 cm
Poids
137 g
Langue
français

L ete rouge

De

Illustrations de

Hachette

Bibliothèque verte

Indisponible

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e9782012033405_cover.jpge9782012033405_pagetitre01.jpgTABLE1. L'été de mes quatorze ans
Michel GrisoliaNé à Nice le 12 août 1948, Michel Grisolia est écrivain, scénariste, novelliste, journaliste et auteur de chansons ! D'abord critique de cinéma au Nouvel Observateur, il collabore aujourd'hui à la rubrique Livres de L'Express. Romancier, il a notamment publié L'inspecteur de la mer, Prix Mystère de la Critique 1977 (devenu au cinéma Flic ou voyou, avec Jean-Paul Belmondo), Le choix des armes, Haute mer, Les guetteurs, L'Excelsior, Les sœurs du Nord (Grand Prix du Roman d'Aventures 1986), qui sont pour la plupart des romans noirs, d'atmosphère, ou bien des romans policiers. Il a également publié des nouvelles policières : La petite amie du crime. Scénariste, il a travaillé avec Alain Corneau (Le choix des armes), André Téchiné (j'embrasse pas), Pierre Granier-Deferre (L'Étoile du Nord), Francis Girod (Le grand frère, Délit mineur, Passage à l'acte), avec lequel il a écrit en collaboration Le mystère de l'abbé Moisan et La justice de l'abbé Moisan, deux romans policiers. Parolier, il a écrit des textes pour Marie-Paule Belle, Fabienne Thibault, Régine, etc. L'été rouge est son premier livre pour la jeunesse.
Miles HymanNé en 1962 dans le Vermont, cet Américain a toujours manifesté des goûts et des talents éclectiques : après l'archéologie, il se passionne pour l'art lyrique, puis la peinture et la gravure. En 1986, il est remarqué par la critique pour un album publié chez Futuropolis : L'homme à deux têtes ; il devient illustrateur de presse (Lire, Libération...), dessine des albums et réalise des affiches d'une très grande force poétique.Sous la direction d'Éric Biville© Hachette Livre, 1996.43, quai de Grenelle, 75015 Paris.978-2-012-03340-5« Qu'est-ce que vous faites là, tous les deux ? Qui vous a permis d'entrer ? »Adriana tremble dans mes bras, espérant des mots qui ne viendront pas.Moi, je garde les yeux fixés sur le pistolet de l'homme. Il fait un pas dans notre direction. Il transpire. Je sens sa fureur, et son indécision. Personne n'aime être pris par surprise, surtout dans une situation comme celle-là.Que faire ? Sûrement qu'il se demande ce qu'il va pouvoir faire, avec nous sur les bras.Du sang a éclaboussé ses poignets...1L'ÉTÉ DE MES QUATORZE ANSC'est arrivé en 1963, quand le monde allait encore à peu près bien. L'homme qui fit irruption dans notre vie et qui, en si peu de jours, la changea au point que rien, après lui, ne serait plus pareil, cet homme disait s'appeler Rochester ; et si nous n'avions pas été pauvres, l'été aurait eu sa vraie couleur d'été avec du bleu, du vert et la chaleur blanche du Sud. Au lieu de cela il est à jamais rouge dans notre mémoire, cet été 63 où ma sœur et moi nous avons vu le sang couler pour la première fois. Pas le nôtre, non. Celui de Rochester.Quand j'y pense aujourd'hui, alors que tant d'années ont passé, mon cœur se serre, comme il se serre à la simple évocation d'Adriana. Adriana, ma sœur. A douze ans, c'était encore une petite fille, du moins aux yeux de ceux qui la connaissaient moins bien que moi. Quant à Rochester, ce géant aux cheveux déjà gris et à la peau blonde, je le reverrai jusqu'à mon dernier souffle tel qu'il nous est apparu, au premier étage de la maison qu'on croyait abandonnée, tout en haut du village. Il était bâti en athlète, avec des yeux bleu glacier, une moustache en broussaille sous le nez retroussé. Un blue-jean, un tee-shirt uni, blanc, étincelant. Quarante ans, pas beaucoup plus, et l'allure d'une publicité pour cigarettes américaines. Sauf qu'il ne fumait pas et que son existence ne ressemblait pas à une affiche aux couleurs rutilantes.Pour ce qui est d'Adriana, je ne sais pas, mais moi, Rochester, je suis incapable de vous en vouloir. Pourtant Dieu m'est témoin que vous nous avez fait peur, et plutôt dix fois qu'une, pendant ces deux jours où notre sort d'enfants fut lié au vôtre.Rochester. Dans sa voix, nulle trace d'accent. Alors, je mettrais ma main au feu qu'il ne se nommait pas ainsi. On ne nous a rien dit de tout ça. J'avais atteint mes quatorze ans mais l'ennui, c'est que cela ne m'autorisait pas à poser de questions. Un regard de notre mère, pas méchant mais dissuasif, et ça suffisait... Nous avons subi de la part des policiers les interrogatoires d'usage, un examen médical, la bonne volonté d'un psychiatre, et nous sommes rentrés chez nous. A la maison, silence sur toute l'affaire. Pour tout le monde, nous étions saufs, à quoi bon, dut-on se dire, nous traumatiser davantage ? Pourtant, nous aurions tellement voulu en parler, et si nous avions pu parler, nous aurions retrouvé plus vite le sommeil, ça, c'est sûr.Les deux jours qui ont suivi ce vendredi de fin juillet où cette histoire s'est achevée si dramatiquement, j'ai accompagné Adriana et j'ai fait le guet pendant qu'elle volait à la devanture d'un kiosque, près de la gare, un exemplaire du quotidien de la région. Elle et moi, nous espérions y découvrir les informations qu'on nous refusait chez nous ou chez les commerçants du voisinage, lesquels n'ont eu pour nous, longtemps, que des sourires de commisération. Et longtemps, comme nous passions devant leurs vitrines, Adriana a murmuré entre ses dents :« Je les déteste, je les déteste.— Voyons, Adriana. Est-ce que ça vaut la peine de détester les gens pour ça ? Ou pour quoi que ce soit d'autre ? »Elle répondait par un haussement d'épaules et je voyais bien qu'elle n'était pas convaincue. Adriana, même aujourd'hui, il m'arrive encore de me demander si nous avons jamais été frère et sœur, tant j'ai l'impression d'avoir vu grandir une étrangère à côté de moi, et ces circonstances qui auraient dû nous rapprocher, nous unir à jamais, je ne comprends toujours pas qu'elles aient échoué à y parvenir.Ces deux jours-là, si nous avons subtilisé des quotidiens, c'est qu'à la maison, jamais un journal ne traînait dans le salon, la cuisine ou la véranda. Pourtant notre mère en achetait, surtout du temps où il y avait un homme qui vivait avec elle. C'était quelques années après le départ de papa. A peine cet homme avait-il parcouru les journaux qu'on les mettait sous clé, au cas où nos yeux tellement innocents seraient tombés sur un de ces faits divers abominables que les adultes, eux, ont le droit d'aimer. S'ils avaient su qu'un jour d'été, le fait divers, ce serait nous...Ce vol à l'étalage fut peine, et risque, perdus. Rien, pas un article, pas un entrefilet, pas même une demi-ligne. Il n'y en avait que pour la conférence de presse du général de Gaulle, le tremblement de terre en Yougoslavie, Krouchtchev et Paul VI. Pourquoi ce silence ? Après toutes ces années, je n'ai toujours pas la réponse. Peut-être la société croit-elle se porter mieux en effaçant toute trace du passage sur terre de certains hommes. Si on a tout fait pour vous gommer de nos mémoires, moi, je ne vous ai pas oublié, Rochester, et voilà pourquoi il est grand temps que je raconte votre histoire, au lieu de lui tourner autour comme je le fais depuis un moment.Tout a donc commencé l'été de mes quatorze ans, dans ce Sud-Est de la France qui nous a tous vu naître dans la famille depuis des générations et des générations. Pour la plupart des gens, cet été-là resterait l'été du quatrième Tour de France remporté par Jacques Anquetil, roi des grimpeurs face à Poulidor et Bahamontès. Pour nous, c'est à jamais l'été Rochester.
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