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La nourriture et nous, corps imaginaire et normes sociales
EAN13
9782200268817
ISBN
978-2-200-26881-7
Éditeur
Armand Colin
Date de publication
Collection
Nathan Université
Nombre de pages
288
Dimensions
24 x 16 cm
Poids
458 g
Langue
français
Code dewey
306.4

La nourriture et nous

corps imaginaire et normes sociales

De

Préface de

Armand Colin

Nathan Université

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Introduction?>Le rapport à la nourriture, les modalités du «culinaire»1, ainsi que l'ensemble des pratiques, comportements et savoirs suscités par le fait de se nourrir, représentent un système qui, chacun le sait, est irréductible à la seule dimension du biologique, ou encore du diététique, tel qu'il se présente dans les termes nutritionnels. Autrement dit, ce rapport ne dépend pas exclusivement de l'état de faim ou de satiété.Manger est un acte d'une grande complexité qui renvoie à un ensemble de pactes (individu/société), d'alliances (relationnelles), d'attentes (la réplétion) et de partages (le repas), mais aussi de risques successifs liés à l'incorporation. Cet acte se joue in fine au sein de la rencontre digestive corps/aliment, actualisée dans le plus profond des entrailles. Et comme toute rencontre (si elle est véritable), elle ne peut qu'être symbolique.Ce qui semble être posé comme une évidence biologique masque, soutient et s'intrique à d'autres aspects qui signifient que manger est d'abord et avant tout une expérience corporelle, identitaire et existentielle majeure.Si on se met à y penser d'un peu plus près, et dans une démarche pluridisciplinaire, l'acte de manger2n'est pas seulement un fait qui revient quotidiennement, de façon répétitive et inéluctable. C'est bien plus. Par son intermédiaire, il s'agit de recevoir un élément extérieur, plus ou moins étranger ou reconnaissable. Il convient d'en prendre connaissance, de l'identifier et d'accepter, au moins pour une part, de se soumettre à l'immaîtrisable et à l'indésirable qu'il contient, et ainsi de marquer son appartenance et inscription dans le monde social (groupal).UN PHÉNOMÈNE SOCIAL TOTAL STRUCTURÉ AUTOUR DE LA NOTION D'INCORPORATION?>L'acte de manger est une histoire intime, autant qu'une « affaire » sociale et culturelle. Cette dimension est démontrée par de nombreux travaux psychosociaux, ethnologiques ou historiques sur les significations, les représentations de la nourriture, les contextes et les pratiques ainsi que les enjeux politiques du manger ensemble. Nous faisons référence entre autres, aux travaux de Fischler, Hubert, Garine, Poulain, Masson, Lahlou, Flandrin... Ce double phénomène privé/social dont les facettes sont multiples peut être abordé dans une certaine globalité si on le réfère au paradigme central de l'incorporation. Introduite par Freud en 1915-1920, cette notion renvoie au processus par lequel, sur un mode plus ou moins fantasmatique, le sujet fait pénétrer un objet à l'intérieur de son propre corps, à la fois pour le détruire et assimiler totalement ou en partie ses qualités3. Puis elle est reprise dans la littérature ethnologique pour y être étudiée comme un principe selon lequel « on est ce que l'on mange », ce qui sous-entend l'existence d'un lien affectif très fort entre l'aliment et le corps des mangeurs. Lorsque ce principe s'associe au principe de la contagion, il est alors un facteur puissant qui attribue à la nourriture un grand pouvoir de contagion sociale4. Par son accomplissement se définissent les significations collectives et les représentations du mangeur et se révèlent les modalités du manger en tant que catégories sociales. Bourdieu (1979, p. 549) a ouvert cet axe de l'incorporation sociale, « processus par lequel l'ordre social s'inscrit dans les cerveaux », en articulant l'analyse des goûts et des habitudes alimentaires aux catégories sociologiques d'éducation, de revenus et de classe.Ces registres qui atteignent séparément et ensemble des niveaux de complexité élevés représentent des événements collectifs de l'intime où se mêlent contraintes et improvisations, jusqu'aux limites des attitudes morales et de suspicion vis-à-vis du plaisir.Non seulement l'aliment est structure corporéisée, mais encore il est opérateur du social si l'on prend en compte le fait que l'incorporation est l'une des dimensions essentielles du processus de socialisation. Celui-ci s'exerce par des actes d'institution par lesquels une culture « prend corps »5, et qui ainsi « fondent et consacrent symboliquement le sens des limites »6. Pas seulement des limites, mais aussi de l'intériorité.La nourriture en tant que vecteur de mécanismes de l'intériorisation (pénétration, appropriation et destruction) constitue un principe d'échanges qui structure l'identité individuelle et l'organisation sociale autant qu'elle est déterminée par eux. Elle donne la vie (physiologiquement), la maintient, apporte du plaisir, mais aussi réactualise des appréhensions primordiales, des risques fantasmatiques et réels, souvent confondus, qui déterminent l'acte de se nourrir comme l'un des plus bouleversants. Elle a des incidences sur la formation de l'unité corporelle et de l'identité du mangeur, ou sur les possibles désintégrations de l'un comme de l'autre.
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