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Mirontaine sta leggendo

http://lemondedemirontaine.hautetfort.com/

Professeure des écoles par correspondance et lectrice passionnée autant en littérature de jeunesse qu’en littérature générale.

21,00
1 mars 2023

Certains livres sont habités d'un souffle furtif et mystérieux. Au revers de la nuit de Cécile Balavoine explore la possibilité d'une rencontre à l'heure où nous sommes pressés de vivre. Hiver 1996, un éclat affleure dans la vie de Cécile, lors d'un voyage en train. La narratrice se rend à Brattleboro, dans le Vermount. Un homme ténébreux et élégant entre dans le wagon et Cécile attend que se révèle et se déploie l'âme qu'elle pressent et entrevoit déjà. Un sourire fugace mais transfigurant, un silence tinte là où le lecteur apprend à écouter les traces d'un amour dormant, à se tendre vers l'invisible des lieux , à sonder l'ineffable du lien qui unit Sasha et Cécile. La narration devient une forme frôlée, un appel murmuré où l'ordinaire d'un amour trouve une résonance inattendue. Les phrases sont picturales, teintées de mélancolie, parfois marquées de tragique, toutes empreintes d'acuité. Des apostrophes pudiques adressées à l'absent, toujours irradiant de présence, Sasha, l'homme aimé disparu. Sa disparition sonne l'heure blême et grise, au creux d'un avion. La narratrice reste au sol. Les vapeurs s'exhalent des bouches, elles cherchent à rejoindre le dernier souffle, celui que le virtuose des cocktails vient de rendre. Certains chagrins supportent la poigne du langage lorsque la littérature a ce pouvoir de ressusciter les êtres. Le malheur est parfois fécond : en luttant contre l'absence, on devine les signes discrets d'un passage. Ni interprétation mystique, ni effet de croyance, Cécile cisaille les mots pour retenir l'âme qui s'en va et le besoin affolant de son énigme. Cécile absentée, ravie, soustraite ravive la mémoire de Sasha. Ce roman suggère une échappée troublante dans la rupture silencieuse et intérieure sous les remous des pages lorsque les rumeurs de la ville parviennent confusément. La nuit fait barrage à la vérité confiée, à la présence dans l'absence, à fleur de l'éphémère.

10,00
7 avril 2022

C'est un petit livre délicat cousu d'un fil rouge. Il est composé de volutes, de traits décousus, de petites marches qu'une fillette tente de gravir. Aux filles du conte. Celles dont on a lu toutes les histoires, de petites silhouettes craintives, rêveuses, amoureuses. Celles que l'on muselle pour mieux les asujettir. Pourtant, la fille du conte " n'a pas demandé les serrures".
C'est un petit livre que j'ai relu plusieurs fois parce qu'il stylise les émotions. La lecture peut introduire à un surcroît de vigilance et de réflexion.
On s'arrache à l'illusion référentielle des contes. Un petit pas de côté dans l'épaisseur du langage. Les filles du conte nous offrent à lire dans la gueule du loup.
Ce petit livre est un support de possibilités créatrices. Les illustrations de Frédérique Bertrand instaurent une lecture mais aussi un enrichissement et la révélation d'un envers des contes. Elles s'emparent des jolis mots de Thomas Scotto, du déroulement de l'écriture pour en faire un écheveau que leur graphisme dénouera. L'image est creatrice d'existence, là où le texte souligne la volonté de négation où l'on a trop souvent enfermé les filles du conte.
Ce petit livre offre une émouvante retrouvaille avec la fillette et son potentiel d'action.
Avec certains livres, on développe un rapport affectif sans doute plus immédiat. Ce petit livre écrit par Thomas Scotto, publié aux éditions du Pourquoi pas entraîne un surplus de sens et d'affect, de rêverie qui danse sur chaque mot, chaque image. C'est un beau livre qui est de l'ordre du vivant, du mouvement, du désir, de l'expérience ressentie et commune.
Je souhaite vivement que le lecteur dans l'entre-deux du texte et des illustrations cherche à placer sa propre voix, son imagination et ses affects.
Merci aux auteurs de rendre visible et lisible avec délicatesse la mobilité temporelle de naître fille.

Neuf 19,00
Occasion 4,26
19 octobre 2021

En ouvrant ce nouveau livre de Paola Pigani,  retraçant  l'arrivée en France d'une jeune hongroise c'est ce tableau d'Angelo Tommasi Gli emigranti qui se déploie.

La fiction est ce qui reste pour combler les silences d'une génération à l'autre. Paola Pigani raconte le tempo commun d'un groupe d'ouvriers exilés d'Italie et de Hongrie. Sjonza, Elsa, Bianca, Marco sont comme les vêtements d'une même lessive  qu'emporte le tambour de l'industrie textile  au début du XXème siècle.  Ils sont une même masse textile qui tourne et tourne encore,  chaque dimanche,  au bord de la Rize.

Les saisons rythment la narration,  les gestations, les fêtes dominicales  à  la cadence des machines de production du viscose.

Le filage s'associe au verbe, liant la fibre tant à la matérialité du monde qu'à des strates plus symboliques.  Les " petites Italies" réinventent une identité locale près de l'usine.  Le groupe habite un temps cyclique,  sans cesse répété dans l'atelier.  Chacun accomplit ensemble les boucles du temps: de l'insoumission à l'avènement du Front populaire.
Le fil de narration véhicule fonction et signe de l'immigration. On comprend la matière,  sa provenance et sa finitude. L'industrie textile exerce une influence profonde sur les cadres mentaux  des immigrés,  rejetés, insultés, discriminés.
Le viscose porte le monde en tous sens à la Tase. Il naît d'une tige si grêle que l'on tresse , non intacte mais brisée,  broyée et réduite par la violence,  comme celle que l'on impose au corps ouvrier.
Toute la langue de Paola Pigani sur le tissage et le monde de l'usine se fait métaphore pour expliquer le fragile équilibre des forces qui sied au groupe. Un terreau fertile à la division au travail de chaque protagoniste.  Ce texte est un subtil équilibre des tensions à l'oeuvre dans la science combinatoire de la politique du Front populaire.  C'est la fusion des contraires où le faible et le fort s'affrontent pour un vivre ensemble plus harmonieux.

Sjonza ajuste son corset,  non celui de la rigidité des contremaîtres ou d’ un mari, mais bel et bien celui de la liberté.

Éditions du Pourquoi pas

13,00
29 septembre 2021

Parfois certains livres vous arrivent, et vous aimantent. Les illustrations d'Anouk Alliot et Seunghee Choi, toutes de bleu et rose,  m'ont transportée. J'ai ouvert cet album souple, intriguée par le graphisme et le choix des couleurs.  Les couleurs binaires bleu et rose alternent d'une page à l'autre.  Le bleu des vagues comme celui de la  crise affleure. Il a grandi en pointillés sur la double page et vient nous confier son histoire. La différence du monde qu'il perçoit et la fragilité des choses.  Son humeur instable lorsqu'" Il tend la main pour saisir ce qu'il désire ou croit désirer,  et ce qu'il touche ne correspond pas du tout."

Les signaux du langage lui font défaut et le dessin se destructure. Figures géométriques des visages masques et le halo rose de la mère bienveillante.

"Coeur battant,  vagues lisses. "

Son cerveau met plus de temps à lire les images et les visages.  Tout lui paraît faux. Le bleu de la mer imbibe la page et ses idées. L'imaginaire dit si bien le trouble de la bipolarité.
Et puis le rose quiétude revient,  doucement,  par petites touches.

 " Il voudrait tout plutôt qu'être lui".

Il est "une identité mutante" nous confie Catherine Grive. Elle redonne la parole au naufragé. Son malheur est réel et plastique. L'armure est si frêle. Il oscille sur les vagues,  de crise en crise.
Un album pour ressentir et semer. Ce livre est une traversée dans le monde de la bipolarité,  celle que j'accompagne pour certains élèves descolarisés.
C'est un beau projet d'écriture  en partenariat avec l'association Bipolaire ? Si Tu Savais et l'Ecole d'art d'Epinal.

La littérature de jeunesse est gracieuse lorsqu'elle est contenue dans un si bel écrin.

27 septembre 2021

C'est un roman très singulier dans une nouvelle maison d'édition @editions.dalva qui publie exclusivement des femmes. Je n'avais lu aucune critique mais en librairie la notion du corps de femme et le parallèle à l'animal m'intriguait.

C'est le destin chamboulé de Lucy, en rémission d'un cancer du sein. Elle est reconstruite en bimbo et vit mal ce nouveau corps conforme au désir masculin de son compagnon. Elle va croiser la tragédie impliquant une pieuvre qui tente de sauver ses oeufs.

C'est un peu barré dans la première partie puis Erin Hortle, australienne, amoureuse de l'océan raconte combien d'épreuves un corps, celui de la femme, peut endurer.

Son couple se délite. Ses seins siliconés s'effacent. Des tatouages de pieuvres vont couvrir les cicatrices.

Parfois c'est la pieuvre qui raconte la psyché féminine. La force du texte réside dans cet impact entre les espèces, humaines et animales.

J'ai nagé dans ce roman, dans les vagues de Tasmanie sans jamais me noyer. C'est un roman féministe subtil mais surtout environnementaliste.

La transformation par l'épreuve attendue, mais vraie.

Les pieuvres veulent dire quelque chose pour elle. Quelque chose qui parle de sacrifice féminin, de persévérance, de la futilité de tout ça, quelque chose qui dit que nos corps peuvent rater, et pourtant on continue comme on peut.

Au creux du texte, Lucy met la vie des pieuvres en bocal. La pieuvre se régénère après un membre arraché.

Qu'en est-il de la femme?