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Grégoire C.

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A la tête de la belle librairie Obliques depuis 2011.

Chemin de fer

12,50
Conseillé par (Librairie Obliques)
5 avril 2018

Dans le ventre de la mère

"La plupart des malheurs qui surviennent dans l'existence ne sont que les fruits prévisibles de ces étreintes médiocres, de ces jouissances sans extase dont les hommes et les femmes se contentent."

Des toujours très belles et très soignées éditions du Chemin de fer nous arrive un premier roman détonnant, écrit par Justine Arnal et accompagné par les dessins organiques de Lola B. Deswarte.
Organique, voilà à quel niveau se situe l'écriture de cette jeune romancière à l'imaginaire psychanalytique, oscillant entre fable moderne et réalisme magique, un terrain que peu d'écrivains francophones explorent si on y réfléchit bien.

Avec cette histoire de femme dévorée par son amour maternel, Justine Arnal brosse le portrait psychologique d'un modèle ancestral - la femme-mère - et interroge la figure de la femme aujourd'hui aujourd'hui, à notre époque moderne où dans le discours et dans la loi, l'animalité de la grossesse et de l'enfantement est de plus en plus évacuée.

On n'est pas loin non plus du folklore slave avec ces personnages mythiques qui aspirent à la liberté et se retrouvent entravés par des forces naturelles ou surnaturelles invincibles.

Si quelques décalages de langage moins bien maîtrisés cassent par moment le triste et beau récit de Marguerite et de sa fille, on pardonne volontiers ces imperfections à une romancière capable de tant de fulgurances littéraires.

Déroutant par moment, tant cette langue nouvelle ne nous est pas familière, force est de constater qu'on tient là un premier roman important car il est l'acte de naissance d'une voix à laquelle il faudra désormais prêter une oreille attentive.

Conseillé par (Librairie Obliques)
4 avril 2018

Époustouflant !

Voilà le premier mot qui vient à l'esprit quand on pense à ce roman échevelé qui balaie les années et quelques centaines de kilomètres d'un côté et de l'autre de la frontière américano-canadienne.
Pour sauver son troupeau menacé de famine par un hiver trop long, Québec Bill Bonhomme décide de se lancer dans la contrebande de whisky et d'embarquer son fils et son beau-frère dans l'aventure. Mais la fine équipe tombe sur un os du nom de Carcajou. Dès lors, le spectacle peut commencer.

L'éditeur a bien raison quand il parle de Jim Dodge pour décrire l'univers de Mosher, car autant dans l'esprit que dans le style, ce "Québec Bill Bonhomme", c'est un peu un "Oiseau Canadèche" qui ferait 300 pages, en légèrement plus dingue, avouons-le. Comme dans "Canadèche", le roman tient au charme de son personnage principal, trappeur à demi roublard, doux dingue jamais à court d'idées plus farfelues les unes que les autres, une sorte de Dersou Ouzala allumé doté d'un optimisme à l'épreuve des balles, le genre de type qui trouverait le moyen de contempler la beauté de sa maison en flammes. Et l'optimisme est contagieux, y compris pour les lecteurs modernes que nous sommes, matraqués à longueur de journées de concepts fumeux comme le "pouvoir d'achat" ou le "moral des ménages". Avec Québec Bill Bonhomme, le véritable secret du monde nous est révélé. Il tient en quelques mots : oui, peut-être qu'on a tout perdu, mais on a pris un tel pied à tout perdre que finalement, c'est encore bien mieux que si on avait gagné !

Conseillé par (Librairie Obliques)
24 mars 2018

Conte du réel

Vous allez entrer dans un livre sensoriel. Vous allez tout voir, tout entendre, tout renifler, tout éprouver. L'écriture d'Audrée Wilhelmy, dont c'est le troisième roman, a ce pouvoir. Celui de vous transporter entièrement à l'intérieur même de ses personnages, dans la solidité et la mollesse de leurs corps.

Sur ce coin de rivage où une famille vit à l'écart du monde, où les relations humaines sont synonymes de relations familiales, les passions forcément incestueuses et le quotidien rythmé par le mouvement de la mer, la vie se concentre sur les détails. Avec une poésie mais aussi une précision presque scientifique, la romancière québécoise vous fait découvrir ces personnages énigmatiques, profonds, complexes, dont l'animalité surgit parfois avec violence. De quel corps parle-t-on ? De quelles bêtes parle-t-on ?
C'est un roman des bêtes, bien sûr, mais c'est viscéralement un roman des corps, et de ce qui en sort, sang, sueur, sécrétions, comme le ballet des fluides qui nous traversent et retournent à la terre ou à l'eau salée dans une vitale chorégraphie des saisons. Le corps des bêtes, c'est un conte du réel, plus réel probablement que n'importe quelle autre histoire urbaine, qui nous aurait été plus familière peut-être mais n'aurait jamais pu atteindre ce degré d'intimité de la phrase avec son lecteur.
Peut-être ne trouverez-vous pas dans ce livre ce que vous y cherchez, mais comme des épaves rongées dans le sable, tant d'autres merveilles.

20,00
Conseillé par (Librairie Obliques)
2 mars 2018

Saumon royal

Le 11 juin 1981, la police québécoise lance une opération de grande envergure pour empêcher la pêche au saumon dans la rivière Ristigouche, au cœur de la Gaspésie. C'est là que depuis des millénaires, des Indiens Mig'Maq pêchent leur repas pour nourrir leurs familles. Tout ça se terminera mal... très mal.

A partir de ce fait divers, Eric Plamondon nous raconte une histoire passionnante et terrible, un roman noir qui met en lumière le destin des peuples amérindiens du Canada. "Ici, nous dit l'auteur, on a tous du sang
indien. Et quand ce n'est pas dans les veines, c'est sur les mains."
Dans le style dynamique qu’on lui connaît depuis la brillante trilogie 1984 (Hongrie Hollywood Express, Mayonnaise, Pomme S, tous trois aux éditions Phébus), alternant fiction et interludes encyclopédiques, Plamondon plonge aux racines de l’événement pour mettre le Québec face à sa plus cuisante contradiction : comment peut-on revendiquer une singularité culturelle et linguistique pour le Québec tout en la refusant aux peuples autochtones ? Pas de réponse ici bien sûr mais ce simple constat, parfaitement documenté, distillé à hauteur d’homme, sans jugement.

Car Taqawan n’est pas une thèse, c’est d’abord un roman, plein de suspens et d’émotions, avec une histoire puissante et des personnages affirmés qui trimbalent chacun un passé complexe : on n’atterrit pas
en Gaspésie par hasard, et si on y reste, c’est qu’on a une bonne raison. Ici, l’alchimie entre le romanesque et le documentaire fonctionne à plein ; pendant la lecture, on passe avec la même tension narrative d’une course poursuite en canot à la recette de la soupe aux huîtres et on ne s’étonne pas, une fois le livre fermé, d’en savoir autant sur la vie des personnages que sur la fraie du saumon.

C’est à un grand numéro de jonglerie littéraire que nous convie à nouveau Eric Plamondon, en même temps qu’il assène cette vérité criante mais rarement énoncée dans les lettres québécoises : la question indienne est encore loin d'être réglée en Amérique du Nord.

Conseillé par (Librairie Obliques)
2 mars 2018

Superflic métaphysique

Chapeau en feutre, costume élimé, l’Inspecteur Gould est le meilleur enquêteur de tout Diablerouge.
Mieux : aucune affaire ne lui résiste. Taux d’élucidation : 100%
Mais une vague de délits singuliers va forcer notre superflic à s’interroger sur son métier, et plus
généralement sur la justice elle-même. Un flic qui résout toutes ses enquêtes ne serait-il pas une
caricature de lui-même ? Et élucider un crime, est-ce vraiment servir la justice ? Quand on est un
personnage de BD, on ne se pose pas ce genre de questions. Sauf dans une BD de Matt Kindt,
l’auteur remarqué de Super spy et de L’histoire secrète du géant (Futuropolis).

Alors que le lecteur plonge dans cet album comme dans un recueil d’histoires feuilletonnesque qui
pourraient se suffire à elles-mêmes - celle de cette jeune fille voleuse de chaises, de ce voyeur
obsédé par les jambes des femmes - il prend peu à peu la mesure de l’ampleur du projet. Et si tout
était lié ? Et si chacun de ces « crimes étranges » nous racontait quelque chose de bien plus crucial ?
Un mystérieux dialogue sans image, en forme d’interludes, nous mène sur cette piste. Mais qui tire
les ficelles ?
Construit comme un hommage aux policiers des années 60, Du sang sur les mains n’en est pas moins
extrêmement moderne dans sa forme. Kindt y alterne les techniques avec fluidité, passant de
l’aquarelle au crayon de couleurs, dans une construction dynamique qui sait aussi bien utiliser les
cases traditionnelles que les faire éclater, jouer de faux collages ou faire pivoter le sens de lecture.
Les teintes sont passées et donnent à l’album son parfum nostalgique qui fait tout pour endormir le
lecteur afin qu’il ne réalise pas tout de suite à quel point il a entre les mains un livre audacieux au
scénario machiavélique qui en laissera plus d’un bouche bée.