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Jean-Luc F.

http://www.lagrandeoursedieppe.fr/

Les Éditions Noir sur Blanc

25,00
Conseillé par (Librairie La Grande Ourse)
12 janvier 2022

Une merveille

Dans les années trente du vingtième siècle, sur les bords de la Volga, un vieux maître d'école et deux enfants vivent reclus dans une isba perdue au cœur de la forêt. Lui s'appelle Bach, comme le musicien, car il est allemand, descendant de ces « enfants de la Volga » que la « Grande Catherine » accueillit généreusement à la fin du XVIIIe siècle, pour coloniser les steppes inhospitalière de la Caspienne ; les enfants sont la fille de Bach, Anna, et un jeune vagabond kirghize, Vasska, qui a trouvé là un refuge et une famille. Tous les trois construisent peu à peu un monde à eux, dans les bruits changeants de la nature, l'odeur des pommes séchées, et la chaleur du poêle . Ils échappent comme par miracle à la terreur stalinienne qui s'installe tout autour.
Le miracle, c'est ce roman, merveilleusement écrit et superbement traduit, qui mêle chronique historique et conte fantastique, « réalisme magique » et lyrisme simple, tout à la fois dénonciation froide du stalinisme et ode puissante à la nature, à la forêt, à l'hiver, à l'enfance, à l'amour. Et au grand fleuve Volga, qui est peut-être le personnage principal du roman, et nous accompagnera longtemps, comme les trois autres, une fois qu'on aura, après un dernier chapitre éblouissant, refermé le livre.
Une merveille

Jean-Luc

Entretiens avec emmanuel resche-caserta

Actes Sud

20,00
Conseillé par (Librairie La Grande Ourse)
17 novembre 2021

La façon Christie

William Christie est musicien, claveciniste, et surtout fondateur et chef de l'ensemble Les Arts florissants, qui œuvre depuis plus de 40 ans au renouvellement de l'approche et de l'interprétation de cette merveilleuse musique qu'est la musique baroque. Américain (même s'il est aujourd'hui naturalisé français), il aura fait plus que bien d'autres pour redonner son faste à la musique française du « Grand siècle ». Héritier des premiers « baroqueux », c'est aussi contre eux qu'il a défini son style propre, ce qu'il appelle « la façon Christie », où l’essentiel semble être de transmettre aux musiciens et au public l'émotion qu'il ressent lui-même.
Il a proposé à Emmanuel Resche, son premier violon, de recueillir et mettre en forme, au fil d'entretiens souvent informels (au sortir d'une répétition, au cours d'un voyage, ou chez lui, dans sa maison en Vendée), ce qui pourrait être une sorte d'héritage intellectuel et artistique, à côté de la liste impressionnante des concerts, représentations et enregistrements produits par Les Arts florissants.
Ce petit livre se lit d'une traite. C'est intelligent, alerte, passionnant. Les brèves introductions qu'Emmanuel Resche a rédigées au début de chaque chapitre, teintées d'humour, apportent une touche supplémentaire de légèreté. Pour les amateurs de musique baroque c'est un vivant précis d'esthétique. Pour les néophytes une très accessible initiation. Pour tous le portrait attachant d'un grand artiste qui a su garder sa simplicité, aussi bien pour parler de son art que pour vous préparer, en jean et chemise à carreaux, un dîner avec les restes du frigo.

Jean-Luc

Trois vies improbables et vraies

Rivages

Neuf 17,00
Occasion 16,00
Conseillé par (Librairie La Grande Ourse)
14 novembre 2021

Indomptables Mapuches et quarantièmes rugissants

Claudio Magris est un écrivain voyageur qui ne s'intéresse pas tant aux lieux eux-mêmes qu'à l'imaginaire qu'ils nourrissent. Il ne se déplace pas tant dans un espace que dans une culture, et ouvre des mondes plutôt qu'il ne parcourt le monde. Il en avait fait la merveilleuse démonstration dans « Danube », livre monumental qui embrassait l'histoire et la littérature de la Mitteleuropa et des Balkans en suivant le cours du grand fleuve européen.
Avec « Croix du sud » il nous transporte dans le cône Sud de l'Amérique latine, Patagonie et Terre de Feu. Il choisit de nous raconter trois vies, « improbables et vraies », trois vies d'Européens qui se sont passionnés pour ces terres inhospitalières et y ont lié leur destin : Janez Benigar, aventurier slovène débarqué à Buenos-Aires en 1908, devenu spécialiste de la culture et de la langue du peuple autochtone des Araucans, qu'on connaît mieux sous le nom de Mapuches ; Orélie-Antoine de Tounens, avoué à Périgueux, autoproclamé, en 1860, « Roi d'Araucanie », royaume qui n'aura finalement jamais existé ; et enfin Angela Vallese, religieuse piémontaise arrivée en Terre de Feu en 1880, et que les Indiens Onas prirent pour un manchot, à cause de son habit noir et blanc. Des trois personnages c'est le plus attachant. Elle voue un amour infini aux Mapuches, peuple indomptable qui a affronté les Incas avant les Conquistadors et continue aujourd'hui de résister à l’État chilien. Elle soulève des montagnes pour les sauver. Le livre de Magris est aussi un hommage au Mapuches.
Comme toujours avec Claudio Magris l'érudition est éblouissante, sans jamais être pesante. On croise Jules Verne aussi bien que Darwin, Borgès bien sûr, mais aussi de façon plus surprenante, José Mario Bergoglio, l'actuel pape, qui s'intéressa de près à ces terres et à ses peuples autochtones.
A la fin du livre Magris s'aventure au delà du Cap Horn, sur les eaux furieuses de l'océan austral, peuplées d’îles désolées et de mythes effrayants, jusqu'aux « quarantièmes rugissants » et aux « cinquantièmes hurlants ». Sa prose devient lyrique. On en sort ébouriffé.

Jean-Luc

Éditions de l'Observatoire

20,00
Conseillé par (Librairie La Grande Ourse)
25 octobre 2021

Incisif et troublant

Le titre évoque immédiatement le Eichmann à Jérusalem, d'Hannah Arendt, sous-titré « Rapport sur la banalité du mal », paru en 1963, après le procès d'Adolf d'Eichmann, auquel la grande philosophe allemande avait assisté à Jérusalem.
Eichmann, c'est l' « architecte de la solution finale ». C'est lui qui a organisé la logistique de la déportation de millions de Juifs européens vers les camps de la mort, avec l' efficacité qu'on sait. A la chute du Reich il a fui, comme des milliers d'autres nazis, vers l'Argentine, où le gouvernement de Juan Perón les accueillait à bras ouverts. Il a vécu là bas, principalement à Buenos Aires, dans une discrétion toute relative, jusqu'à son enlèvement en 1960 par les services secrets israéliens, et son jugement, puis son exécution, en 1962 à Tel Aviv.
Tout en reconnaissant sa dette à l'égard d'Hannah Arendt, Ariel Magnus reproche à celle-ci de dépeindre Eichmann comme un imbécile, et « de ne pas lui reconnaître la moindre once de l'aptitude humaine qu'elle estimait le plus » [l'intelligence]. Il n'a fait qu'obéir aux ordres, en gros.
S'appuyant sur diverses sources, Ariel Magnus, dans ce qui est d'abord un roman, fait d' Eichmann un médiocre certes, mais qui reste un nazi convaincu. Qui ressasse sa frustration de ne pas avoir mené à bien la tâche qu'on lui avait assignée, purger l'Allemagne de tous ses Juifs. Qui relit l'Histoire à sa manière, transforme le nazisme en conte merveilleux. Qui s'invente une probité à propos de faits anecdotiques, et construit un argumentaire fallacieux qui lui permettrait au cas où il serait jugé de soutenir qu'il n'a pas éliminé des millions de Juifs, mais tout au plus quelques milliers.
Pourquoi s'intéresser à un tel personnage, peut-on se demander ? Parce que ce que cherche et parvient à éclairer, avec talent, Ariel Magnus (lui-même petit-fils de Juifs allemands réfugiés en Argentine et dont le père vouait une haine toute particulière à Eichmann), c'est d'abord, sinon une pensée, du moins un discours, qui mêle déni de réalité, falsification de l'histoire et délire obsessionnel. Appelons cela négationnisme, complotisme, ou tout simplement antisémitisme, et le propos devient alors d'une troublante actualité. C'est la force de ce bref et incisif roman.

Jean-Luc

Conseillé par (Librairie La Grande Ourse)
19 juillet 2021

Un plaisir pour l'esprit et pour les yeux

On ne dira jamais assez tout le bien qu'il faut penser de la revue XXI qui confirme, à chacune de ses livraisons, la réussite de la ligne éditoriale qui fait son originalité : donner à l'image une place égale à celle du texte, pas seulement dans la mise en page, mais aussi comme objet et outil de réflexion à part entière sur notre siècle en devenir.

C'est le cas de ce numéro 54 (printemps 2021) : côté images, un émouvant « récit-photo » de Patrick Wack sur le Xinjiang, où les photographies disent, bien mieux qu'un long reportage, l'ampleur des persécutions dont sont victimes les Ouïghours ; un épais dossier sur la place inquiétante prise par la vidéo-surveillance dans nos villes (Nice étant l'exemple le plus emblématique du phénomène) ; un très beau cahier sur le travail de Kong Wollak, artiste cambodgien qui redonne vie aux portraits de famille enterrés (au sens propre) par ces mêmes familles sous la terrible dictature des Khmers rouges qui les avait interdits... Côté texte, ce sont deux écrivains qui sont mis à contribution : Nathacha Appanah, qui a recueilli et mis en forme avec la qualité d'écriture qu'on lui connaît des témoignages de femmes noires qui  « nourrissent, lavent, soignent des corps blancs » et sont pourtant confrontées au racisme de la part de ces blancs dont elles sont les aides à domicile. Et Jean-Marie Gustave Le Clézio, qui livre dans un entretien quelques belles réflexions sur le voyage et la littérature.
Tout cela n'est qu'un aperçu, bien entendu, et on est, comme à chaque numéro, surpris par la richesse du contenu, La mise en page, belle et inventive, n'est pas en reste. Si bien que lire XXI est un plaisir pour l'esprit mais aussi pour les yeux. C'est suffisamment rare pour être souligné !

Jean-Luc