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Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Feuillets d'usine

Table Ronde

18,00
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
7 mars 2019

C’est comme un cri jeté pour raconter la vie quotidienne à l’usine, le travail pénible, ce à quoi l’ouvrier occupe son esprit.
Joseph Ponthus est tombé amoureux d’une fille de l’île de Houat. Il avait fait des études supérieures de lettres, était devenu éducateur à la mairie de Nanterre auprès d’adolescents difficiles. En 2015, il se marie et vient habiter Lorient. Pour gagner sa vie, ne trouvant rien dans le secteur social, il fait de l’intérim dans une conserverie de poissons et de crustacés, puis dans un abattoir industriel de bovins. Pendant deux ans, il a confié ses histoires à un livre, "À la ligne", dans un texte sans ponctuation aucune, ressemblant à un long poème.
Il y raconte l’usine, "la charge de travail parfaitement calculée", les odeurs des bulots, les carcasses de vache suspendues à des rails qu’il faut pousser dans les frigos, le froid, le travail à la chaîne et les cadences "au rythme implacable d’un bête par minute", le sang et la graisse, les chefs, les collègues et leur solidarité, le bruit, la fatigue et le corps "qui commence doucement à être ravagé".
Il n’est pas à l’usine pour les besoins d’une enquête mais parce qu’il a besoin de travailler, "je n’y vais pas pour écrire mais pour gagner des sous". Quand on le lit, on comprend qu’il écrit aussi pour tenir, pour ne pas sombrer, pour ne pas succomber à la violence de l’usine. Il écrit ce qui se passe dans sa tête, il parle de Trenet "sans les chansons duquel [il] n’aurait pas tenu", "de son épouse endormie [qu’il] n’osera réveiller" en rentrant de l’usine, des "entraides ouvrières" et de "la condition ouvrière" , des écrivains et des poètes.
À l’usine, le travail répétitif laisse le temps de penser : "Ma vie n’aurait jamais été la même sans la psychanalyse / Ma vie ne sera plus jamais la même depuis l’usine / L’usine est un divan".
Le capitalisme industriel a réussi à édulcorer le vocabulaire ouvrier en remplaçant chaîne par ligne de production, ouvrier par opérateur, contremaître par chef… Mais sans jamais théoriser, Joseph Ponthus montre que la condition ouvrière existe réellement.

Ce premier roman est un livre fort, poignant, qu’on ne peut oublier pas une fois qu’on l’a refermé. Une écriture originale très maîtrisée. Un bel et émouvant hommage à tous ceux que cachent les murs des usines à tel point qu’on pourrait les oublier.

Neuf 17,00
Occasion 3,99
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
5 mars 2019

(...) Avec une écriture poétique, David Diop nous contraint à le suivre dans la description de la barbarie de la guerre, dans la boue des tranchées et le sang des soldats morts, dans les massacres inutiles, dans l’inhumanité du gradé qui sait qu’il envoie ses hommes à la mort, dans différentes formes de rébellion – mentale ou refus d’obéir et de combattre, dans les séquelles et traumatismes psychologiques, dans le dédoublement névrotique de soi.
En faisant la guerre, sa guerre, Alfa redevient le sujet de son histoire qu’il raconte à sa façon, avec ses mots, son rythme, son âme. Ainsi David Diop redonne leurs voix à ces milliers de Sénégalais que la France a envoyé faire une guerre qui n’était pas la leur.
Ce roman est beau à l’excès, violent, sanglant, poignant, halluciné et hallucinant, dérangeant.

Neuf 22,00
Occasion 3,99
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
26 février 2019

En général, je ne lis pas les romans qui sont des évènements littéraires avant même que les livres soient arrivés dans les librairies. J’ai l’impression – certainement erronée – que cette réputation est le résultat d’arrangements entre amis. "Sérotonine" s’étant bien vendu à la la librairie, j’espérais que quelqu’un de mon entourage l’ayant lu me le raconte. Mais non. Je n’avais plus d’autre solution que le lire pour m’en faire une idée.
Je dois dire que je n’ai pas été déçu ! Qu’un roman porte le titre de "Sérotonine" et que le narrateur soit un type aussi dépressif, c’est de l’ironie à haut degré.
Pour dire vite, Florent Claude Labrouste est un agronome dont la vie professionnelle est plus qu’ennuyeuse et loin d’être un modèle de réussite. Sa compagne du moment, Yuzu, une japonaise, le rejoint après une absence. Ça ne le réjouit pas. Il décide de s’effacer de la vie sociale et y arrive aisément et rapidement. Tout de même, ce personnage très auto-centré a la nostalgie de quelques personnes. De Camille, son premier amour, vétérinaire en Normandie. Il séjourne dans sa localité en espérant la revoir, peut-être même la reconquérir, mais n’y arrive pas. Camille est la seule personne lumineuse de ce sombre roman.
D’Aymeric d’Harcourt-Olonde, un ancien de l’Agro, d’une famille aristocratique propriétaire d’immenses terres, encore en Normandie. Il s’est installé comme agriculteur sur ses terres, dans ses bâtiments , travaille quinze heures par jour, gagne moins que son père qui est rentier. Le narrateur rencontre cet homme déprimé, devenu alcoolique, déçu par des politiques agricoles inadaptées, en qui monte un sentiment de colère qui explosera au cours d’une manifestation. Ces pages sombres décrivent avec justesse une réalité douloureuse et profondément injuste. Il faut lire cette description d’un monde rural au bord de la faillite, elle appartient aux meilleures pages du roman.
Florent-Claude commence ses journées par la prise d’un cachet de Captorix, qui l’aide à vivre tout en agissant négativement sur sa libido. Même si l’amour est sa grande affaire, il est impuissant. Impuissant sexuellement, impuissant à retrouver son premier amour et impuissant à sauver son ami agriculteur.
Dans le domaine de la provocation, Houellebecq fait montre d’une belle puissance. Tout y passe : le libéralisme économique, Leclerc et les Carrefour City, quelques écrivains, les féministes, les journalistes, les homos, les écolos, les bobos, surtout ceux qui sont bobos et écolos, et j’en oublie… Mais la noirceur n’empêche pas le cocasse, le délire, la drôlerie, ce qui permet au lecteur de ne pas déprimer à son tour.
Avec son regard affûté, Houellebecq décrit très bien une société déprimée, désabusée, stratifiée. Il est en phase avec les Gilets Jaunes. Il peut se montrer cynique dans les interviews, il n’en est pas moins un tendre profondément ému et révolté quand il décrit le désespoir de agriculteurs.
Si on passe outre les obsessions sexuelles et aguichantes du narrateur, c’est un très bon roman, ironique et clairvoyant,outrancièrement provocateur, qui se lit avec délices.

"On m’avait peu donné, et j’avais peu envie de donner moi-même"

"Étais-je capable d’être heureux en général ? C’est le genre de question, je crois, qu’il vaut mieux éviter de se poser."

Neuf 16,00
Occasion 3,99
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
22 février 2019

Dans "Le tour de l’oie", Erri de Luca nous livre sans doute son récit le plus intime, le plus complexe aussi. Car l’homme a eu une vie aventureuse, avec des engagements forts. Il a connu l’usine, la politique, la guerre en Bosnie, la maladie en Afrique, flirté avec la lutte armée, l’exil, la clandestinité. C’est un montagnard, un alpiniste qui soigne son corps, et qui a fait un" voyage vers le fond du jeûne". Il aime les livres, il sait raconter des histoires, il est un lecteur assidu de la Bible alors qu’il est athée, il aime aussi le cirque , le corps des femmes, Naples.
Pour raconter tout ceci et encore bien d’autres choses, Erri de Luca choisit un soir d’orage alors qu’il lit "Pinocchio", et de parler à un fils imaginaire, un fils qu’il n’a jamais eu auquel il transmet le récit de sa vie. Un récit qui n’est pas linéaire, il se raconte dans le plus grand désordre. Ce fils existe-t-il ? "Ta présence ici suffit ce soir pour créer ma paternité"…
Ce récit est une mise à nu, un jeu d’illusions, un texte qui ressemble un peu à un testament. Erri de Luca, ce passionné d’écriture, nous offre un texte magnifique, exigeant autant pour l’auteur que pour le lecteur.

L’écriture est mon aujourd’hui et je suis content qu’elle soit, quelque part, l’aujourd’hui d’un lecteur.

Neuf 9,50
Occasion 4,00
Conseillé par (Le Pain des Rêves)
17 février 2019

(...) 80 pages pour raconter une guerre, c’est court, autant dire que l’écriture est concise et intense. Si l’auteur s’interdit tout parallèle avec une situation présente, tout anachronisme, le lecteur peut s’autoriser à penser à la permanence des injustices sociales et humaines, à cette réalité des richesses concentrées entre les mains de quelques fortunés, à l’exaspération provoquées par les inégalités. Alors faut-il s’étonner que se soulèvent les damnés de la terre, les pauvres, les humiliés, les gens de peu, tout ceux que les pouvoirs ont oublié qui se révèlent courageux et prêt à tout, même à tout perdre. Mais rappelle Éric Vuillard, "Le martyre est un piège pour ceux que l’on opprime, seule est souhaitable la victoire. Je la raconterai."