www.leslibraires.fr

Le Cherche Midi

Conseillé par
8 mars 2014

Il s’appelle Henri Poincaré, comme son grand-père mathématicien, mais lui est commissaire à Interpol, basé à Lyon et actuellement chargé de la sécurité du sommet de l’OMC qui se tient à Amsterdam. Et ça démarre plutôt mal puisque James Fenster, brillant scientifique américain, est victime d’un attentat à la bombe dans sa chambre d’hôtel. Il devait faire une conférence sur le thème de « L’inévitabilité mathématique d’une économie mondialisée ».
Les investigations de Poincaré le conduiront notamment aux Etats-Unis, il sera amené à s’interroger sur le pouvoir d’explication qu’auraient les fractales, le tout dans un contexte chaotique où l’ordre des choses (des prophètes, pas toujours pacifiques, prédisent l’arrivée du grand Enlèvement) autant que ses proches (une précédente affaire le poursuit) sont directement menacés …

Le récit commence directement après un bref prologue anticipant sur la suite (et fin ?) des événements qui m’a un peu dérangée en me donnant l’impression que l’auteur en dévoilait trop, mais, bon, après tout j’ignorais quand exactement la scène se situait par rapport au déroulement à venir du livre.
Cette réserve initiale ne m’a pas empêchée de plonger dans l’histoire, en appréciant l’art avec lequel dont sont posés les personnages : impossible de ne pas les « saisir » et comme, ces temps-ci, c’est régulièrement ce que je reproche aux livres que je lis, le manque de vérité-crédibilité des protagonistes, j’ai été sensible à ce point (et d’autant plus sensible, au fil du texte, au fait que l’auteur n’épargne pas son héros, j’avais sans doute un peu oublié qu’un polar, le plus souvent, c’est noir…).
L’enquête avance, sans qu’on devine ce que l’histoire nous réserve comme surprises (j’avais au moins pressenti un élément mais c’était minime au regard du reste). Le tout est bien ficelé (on pourrait pinailler sur un point un peu trop facile à mon goût, mais à ce compte-là il y en a dans tous les polars) et, surtout, original sur le fond, avec cette réflexion mathématique qui sous-tend l’intrigue (rassurez-vous, pas de quoi perdre le commun des mortels, on n’est pas dans un roman SF de hard science) et la description d’un environnement géopolitique troublé très bien rendu.

Un polar de qualité, lu sans traîner (avec un auteur américain qui s’est choisi un héros français : rien que pour ça il mérite un détour !) !

3,12
Conseillé par
8 mars 2014

Parce que sa femme, Susan, est plus qu’inquiète de la disparition de son patron à Belize, et parce qu’il découvre soudain qu’elle le trompe, Hal Lindley décide sur un coup de tête d’aller mener des recherches sur place, lui qui, jusqu’à présent, n’avait guère procédé à des investigations que dans le cadre de ses fonctions d’employé du fisc.
En réalité, il ne se soucie guère du disparu, il s’en fait clairement la réflexion une fois qu’il se retrouve là-bas :

"Il allait manger, faire une promenade. Comme personne ne l’écoutait, il pouvait donc bien l’avouer : il n’était pas là pour trouver quelqu’un. Pas là pour se démener mais plutôt pour fondre, se stabiliser, s’amalgamer et se relever dans une forme neuve… mais il pouvait quand même s’occuper quelques heures par jour en recherches quelconques. Ça lui allait. Ça lui donnerait quelque chose à faire."
Loin de chez lui et des siens, Hal compte donc (se) chercher un peu, mais son (en)quête, soudain dynamisée par un couple d’Allemands redoutablement efficace, va l’emmener aux lisières de lui-même et de son monde …

Dans l’hôtel où il réside, Hal rencontre en effet un sympathique et énergique couple d’Allemands (croqué avec bonheur !), qui se pique de l’aider presque malgré lui dans la recherche de Stern, le patron de sa femme. Son périple est narré sur le mode légèrement ironique-distancié avec lequel il appréhende ce qui lui arrive (il a en permanence l’impression de regarder un film). Mais, sous la chronique des incidents ou micro-événements auxquels il participe, affleure celle d’un quinquagénaire en proie au doute, sur ce qu’il est et l’existence qu’il a vécue jusqu’ici. Belize et l’affaire Stern, davantage qu’une toile de fond, servent ainsi de révélateurs, sans à-coups mais comme si la réalité, la vraie, s’infiltrait progressivement dans la conscience de Hal.

Lydia Millet concilie parfaitement un récit bien mené et les questionnements de son héros, les deux s’éclairant mutuellement. Hal est un personnage intéressant et attachant, dont certaines réflexions peuvent nous inviter à porter un regard critique sur nos propres positionnements. Le sentiment de dérision douce-amère émanant du texte contribue au charme qui s’en dégage : le lecteur a l’impression d’accompagner Hal dans ce périple moite et incertain hors de ses sentiers battus et, par procuration, de se mettre (un peu) en danger comme lui.
Un roman plaisant et intelligent qui, par ricochet, interroge aussi l’individu dans la société qui le (dé)forme.

Neuf 22,50
Occasion 7,62
Conseillé par
8 mars 2014

Si le concept d’univers multiples né de la physique quantique m’est connu, je ne l’avais jamais vu illustré d’aussi belle manière que dans cette « Longue Terre » et le voyage entrepris par Josué et Lobsang m’a fascinée : ce qu’ils peuvent voir défiler sous leur dirigeable spécial, capable de passer d’une Terre à l’autre à la vitesse à laquelle on feuillette les pages d’un livre, est présenté de façon cinématographique et convaincante, on perçoit concrètement l’impressionnante notion de « multivers ». En outre, si ces Terres sont a priori désertes, leur exploration ne va pourtant pas aller sans quelques surprises …
Au-delà de cet aspect spectaculaire, j’ai apprécié la construction du roman, qui s’ouvre sur un prologue intrigant, puis croise les aventures de Josué et Lobsang et celles de quelques personnages, dont on ne sait pas si elles leur seront ou non liées. Josué est un héros attachant, dont le caractère taciturne contraste agréablement avec la personnalité haute en couleurs de Lobsang.
La découverte des autres Terres (au nombre semble-t-il infini) ouvre la voie à une espèce de nouvelle Conquête de l’Ouest et permet de s’interroger sur ce que nous ferions (enfin, la plupart d’entre nous, puisqu’une petite minorité, pour des raisons inconnues, est inapte au Passage) s’il nous était possible de repartir à zéro, avec une Terre toute neuve à notre disposition.

Un roman intéressant à plus d’un titre, premier volume d’une série.

11,50
Conseillé par
8 mars 2014

Alors qu’elle n’était qu’un bébé, il l’a extraite de sous le corps sans vie de sa mère, ce corps aimé au milieu de tant d’autres cadavres. Puis il l’a conduite, à travers nombre d’embûches, loin de ce sol natal africain où ils ne pouvaient rester, pour qu’elle vive en sécurité sur le Continent Blanc.
Quinze ans après, l’horreur à nouveau, mais c’est par elle qu’elle arrive. Ses mots emprisonnés croisent par moments ceux de son père, qui lui confie, enfin, l’âpre récit de ses origines …

S’inspirant d’un fait divers, Carole Zalberg donne la parole à un père abasourdi par le geste criminel de sa fille. A travers lui, c’est aussi tout un peuple de migrants qui s’exprime.
Texte court et fort, « Feu pour feu », écrit par une romancière qui est aussi poète, prête une voix magistrale et sensible à l’errance des exclus. En contrepoint, les mots scandés d’une adolescente des cités esquissent les raisons triviales d’un dérapage tragique.

Conseillé par
8 mars 2014

« Et nos yeux doivent accueillir l’aurore » nous plonge au cœur de ses personnages féminins, décrits avec intelligence et finesse, mais aussi de leur époque (un petit tour du côté de Woodstock et de Mick Jagger, entre autres) et c’est son double attrait, mêler avec le plus grand bonheur étude psychologique et analyse sociologique. Commencé comme un roman de campus, le récit dépasse ensuite largement ce cadre, dépeignant les apprentissages de trois jeunes femmes, George, sa sœur fugueuse Solange et Ann. La confrontation à sa famille, l’expérience des drogues, la quête de l’amour au sens large du terme et la volonté de choisir son existence, mais aussi le sexisme, le racisme et la lutte des classes, sont autant de thématiques évoquées à travers elles.

George, la principale narratrice, n’a rien d’héroïque. Certains, explique-t-elle, « ne se sont pas privés de me reprocher ma timidité ou ma passion dévorante pour la lecture – une addiction, un vice, une lâcheté pour me dérober aux défis, aux dangers, aux plaisirs et même aux devoirs de la vraie vie ». Mais nul doute que son amie Ann, comme c’est le cas pour le lecteur, la fascine et l’atteint en touchant à l’essentiel, l’adéquation de nos vies à nos convictions, Ann l’intransigeante, capable d’assumer ses choix jusqu’à l’extrême, jusqu’à l’oubli d’elle-même.

Un très beau roman, de ceux dont la lecture résonne longuement en soi, une fois la dernière page tournée.