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Hélène C.

Lectrice ayant peu de mémoire ou perdant la mémoire par thérapie volontaire, à la recherche constante du "où ai-je mis ce p... de bout de papier" donc de l'auteur et des mots improbables du titre. Titre paru, à paraître, ou jamais paru, cette bibliothèque idéale est une liste des courses, des commissions, de ce que je ne dois sous aucun prétexte oublier avant de rentrer, sous peine de. Un fil bleu, parce ce que Brest.

Dictionnaire des passions

Stock

32,00
Conseillé par (Librairie Dialogues)
1 novembre 2010

Le dictionnaire des passions aborde par touches successives l'oeuvre et l'univers de Jean-Luc Godard. Le lecteur est à la fois séduit par le parti pris de l'auteur - la subjectivité d'un regard - et le rythme particulier propre au dictionnaire, soit une suite de séquences fluides sous forme d'articles courts. Cette séduction aboutit nécessairement à un sentiment de frustration, l'envie d'en savoir plus sur Godard, son travail. Et peut-être d'enchaîner sur la biographie du cinéaste par Antoine De Baecque !

Chroniques (1951-1970)

Gallimard

23,20
Conseillé par (Librairie Dialogues)
31 octobre 2010

À la lecture de ce journal de chroniques de Philippe Jaccottet, je découvre à la fois le style et la sensibilité d'un auteur et celles d'un critique exigeant, plaçant la barre très haut, au fil de ses chroniques et de ses lectures parfois obligées, quand la liste des ouvrages est dictée par l'actualité des prix littéraires.

Décalé, Jaccottet interroge la réception de ses articles, comme le signale Jean-Pierre Vidal, dans la préface de l'ouvrage, "souvent Jaccottet se demande s'il a le droit de déranger le lecteur qui voit avant tout dans son journal un instrument proche de la paire de pantoufles. de quel droit lui parler, à lui qui rentre harassé de son travail, de Nathalie Sarraute ou de Beckett ?". Au fil des jours, la littérature y est défendue avec exigence, débusquant systématiquement le caractère novateur des oeuvres dévoilées, sans à priori. Pourvu que s'en dégage, lumière (éblouissement) et jouissance, pour le lecteur.

Nina Power

Amsterdam

12,00
Conseillé par (Librairie Dialogues)
26 septembre 2010

Le titre de l'ouvrage Femme unidimensionnelle rappelle l'essai d'Herbert Marcuse publié en 64 aux États-Unis, L'homme unidimensionnel puis en 68 en France aux Éditions de Minuit et sous titré Études sur l’idéologie de la société industrielle

Nina Power reprend l’une des thèses exposée dans l’essai de Marcuse selon laquelle « certains aspects de ce qui semble relever de la liberté sont – en fait - des formes de répression. »
Selon Nina Power, la rhétorique du féminisme contemporain est dangereusement approchée (récupérée) par l’idéologie capitaliste contemporaine et fait désormais obstacle à une authentique pensée du travail, du sexe et de la politique, une pensée censément être en rupture avec "l'efficacité des contrôles, l'apparence de l'émancipation".

Cette unidimensionnalité appliquée au féminisme contemporain, à l'heure où toute forme d'organisation traditionnelle passe pour superflue, doit être combattue.

Comme le rappelle LIndsay German, le grand paradoxe de la rhétorique du féminisme est d’avoir connu son apogée au moment précis où les conditions de vie des femmes s’empiraient. Cette rhétorique, par la suite, allait être amenée à servir des politiques nuisibles aux femmes.

La forme d’un féminisme médiatisé - tel qu’il s’expose aujourd’hui - contribue largement à brouiller les pistes. Progressivement vidé de sens, voire instrumentalisé, il peut permettre de justifier toute sorte de dérives : marketing, guerrière et pornographique.

Nous retenons ici quelques exemples précis. D’autres - développés dans son analyse de l’évolution de l’industrie pornographique - mériteraient un examen attentif et pourraient faire l’objet d’un article complet.

Sur le plan politique, Nina Power éclaire un des aspects de la construction théorique de l’idéologie républicaine, aux Etats-Unis : soit un féminisme neo-conservateur, incarné par la figure politique de Sarah Palin. Cette dernière revendique clairement son « féminisme » au service de la cause des femmes, au sein de son association militante "Féministes pour la vie" dédiée au mouvement anti-avortement.

Sarah Palin, une femme-alibi au service d’une idéologie, sensée incarnée le progrès et l’avancement de la condition féminine.

Femme phallus pour les uns, femme soutenant légitimement le droit des femmes à l'avortement pour les autres ou pitbull avec du rouge à lèvres ?

Autrefois associé aux « pires » marges identitaires, le féminisme contemporain tel que promu par le politique est devenu un outil idéologique de première importance, au service de valeurs occidentales à défendre, au risque d’attaquer.

À l’occasion de l‘invasion américaine en Afghanistan, les valeurs féministes à la sauce républicaine justifient, notamment, une part de l’interventionnisme d’état, au nom de l'émancipation des femmes afghanes. Pourtant, là-bas, aucune association féministe musulmane engagée sur le terrain n’est contactée ou consultée. Bien au contraire, leurs actions s’en trouvent compromises au nom de l’usage légitime de la force armée.

Dans l’univers professionnel, le discours sur la « féminisation du travail » est une réalité à double tranchant. La « flexibilité » du travail - associée à l’idée de « plus grande liberté pour les femmes» - telle que promue par les agences de travail temporaire est un kit packagé sous l’étiquette « indépendance nouvelle », « jeune et dans le coup », permettant d’aller « où on veut ». Il s’agit de prétendues libertés (précarités sociales) - particulièrement pernicieuses - pour les femmes mais très avantageuses pour le capitalisme actuel.
D’un côté, le travail temporaire est vendu aux femmes, comme une libération supplémentaire. De l’autre, chacun(e) est contraint(e) de se vendre de manière permanente ou se comporter comme un CV en devenir. Nina Power rappelle les propos de David Harvey « quel effet cette circulation du capital variable a t-elle sur le corps et les personnes, les subjectivité de ceux qu'elle traverse". Tout est « bancable » dans la recherche d'emploi. La séparation du temps libre et du temps de travail disparaît. Le devenir CV s’opposant alors au droit à la préservation de la vie privée.

Enfin, sur le plan « de la consommation », le jeune féminisme promu par les agences de pub investit un marché porteur. Vendu comme facteur de bien être, axé sur l’individu et sa libération, source d’auto satisfaction personnelle, d’épanouissement, il permet au désir de s’émanciper afin de mieux consommer. Les publicitaires, les médias vendent un féminisme « accessoire » à la mode, nourrissant un néo hédonisme de type « engagé ».

Le discours « féministe » ressemble de plus en plus aux pubs pour shampooings…

En conclusion, on ne peut s’empêcher de se demander, avec l’auteur, si l'imagination politique du féminisme contemporain n’est pas dans l'impasse, dans l'incapacité à se confronter aux transformations profondes de la nature du travail et de la culture sous couvert de réalisation de soi par la consommation.

Pourtant, le féminisme a été et doit demeurer générateur de pensées nouvelles et de nouveaux modes d'existence. Radicalement.

18,30
Conseillé par (Librairie Dialogues)
23 août 2010

Attention Oeuvre Monumentale ! Une écriture vertigineuse qui accompagne (précède) la chute glacée des Maestro et autres Gorilles de la finance et de la politique (dont les identités "inspirées de ", le langage, la sémantique du pouvoir, transparaissent à travers le style de Larnaudie ), leurs silhouettes se répercutant à l'infini dans les miroirs sans tain des building de Wall Street, Temples du capitalisme new age.

Éditions Allia

Neuf 6,20
Occasion 1,77
Conseillé par (Librairie Dialogues)
16 juillet 2010

Achevé en 2006, Zimmer est initialement porté au théâtre,avant d'être publié cette année aux Éditions Allia dans la catégorie des "premiers romans".
Zimmer est un texte court, fort. Violent. Clos.

Posant dès l'origine la question de sa réceptivité -respectabilité - et de son impact sur le lecteur.

Son primo-lecteur, l'acteur Maurice Garrel en fait l'expérience lorsqu'il décide de porter ce texte en scène, touché par le monologue intérieur de Bernard Zimmer.

De cette collaboration, entre l'auteur - Olivier Benyahya - et l'interprète, le texte n'en sort pas indemne. Questionné, bousculé parfois - quand une attitude, un passage ou un mot heurte la sensibilité de l'acteur "non je ne peux pas dire cela" -, Zimmer est totalement compris, accepté, incarné par Garrel. Depuis ce texte est clos, donc.

Car il a bien deux manières d'entendre cette voix singulière et effrayante :
- en percevoir - dès les premières intonations - l'infinie tristesse, le sombre éclat, heurtée par les échos des violences sociales et des grandes déroutes politique jusqu'aux périodes les plus contemporaines. Avec ce qu'il faut de perturbant, d'inaudible, d'inacceptable dans les propos et les actes de Zimmer. Rappelons que le narrateur est un sérial-killer de 84 ans dont les victimes sont juives, arabes et noires.

- en rejeter la portée, le discours perçu comme une suite de provocations, une vaste mise en scène de clichés sur les racines de cette violence sociale et/ou communautaire.

Du la stupeur à la détestation, de la compréhension à l'empathie du trouble profond à la stupéfaction tels sont les éléments de la réception de ce texte qui agit et agite.

Écrit dans le contexte des violences urbaines, politiques et sociales de 2005, Zimmer énonce, expose les maux de notre époque, ces silences et métaphores hypocrites qui mènent à la banalisation de la haine, à son acceptation et à l'oubli, en multipliant les angles de vues. Zimmer ne cherche ni excuse à ses actes ou ses motivations, ni compassion. Rescapé des camps, il perçoit le monde à travers un holocauste personnel à venir.

Tentatives d'épuisement par l'absurde de mécaniques qui - sans cesse - se refondent - racisme, extrémismes idéologiques, religieux, communautaires - les mots n'ont plus de sens et les slogans se libèrent à nouveau. Les ministères, imputent, réfutent, légitimisent les règles de la ségrégation économique et sociale. Les frontières sont là, la violence s'en nourrit.

"nous retranscrivons le Monde dans une langue Abracadrabrante, une langue de chaos, une langue-miroir…" nous devenons sacrilèges parce qu'il nous est impossible de trouver un terrain d'entente en nous même; parce qu'il nous est impossible de faire s'harmoniser toutes les voix sans en faire entendre une nouvelle, une voix furieuse, méconnaissable, distante, pleine de morgue, une voix de rupture, de communion, une voix solitaire qui donne à chaque mot un sens qu'aucun de vous, jamais, ne lui aurait soupçonné, dont les intonations serviront à façonner d'autres langages, d'autres yeux crevés, d'autres baises grandioses, d'autres silences, d'autres agonies, …" nous dit Zimmer.

Où en sommes-nous des mondes que nous habitons ? Où en est Zimmer lui-même, ce fantôme ?

Il faut craindre l'incendie.