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La Femme unidimensionnelle

Nina Power

Amsterdam

  • Conseillé par (Librairie Dialogues)
    26 septembre 2010

    Le titre de l'ouvrage Femme unidimensionnelle rappelle l'essai d'Herbert Marcuse publié en 64 aux États-Unis, L'homme unidimensionnel puis en 68 en France aux Éditions de Minuit et sous titré Études sur l’idéologie de la société industrielle

    Nina Power reprend l’une des thèses exposée dans l’essai de Marcuse selon laquelle « certains aspects de ce qui semble relever de la liberté sont – en fait - des formes de répression. »
    Selon Nina Power, la rhétorique du féminisme contemporain est dangereusement approchée (récupérée) par l’idéologie capitaliste contemporaine et fait désormais obstacle à une authentique pensée du travail, du sexe et de la politique, une pensée censément être en rupture avec "l'efficacité des contrôles, l'apparence de l'émancipation".

    Cette unidimensionnalité appliquée au féminisme contemporain, à l'heure où toute forme d'organisation traditionnelle passe pour superflue, doit être combattue.

    Comme le rappelle LIndsay German, le grand paradoxe de la rhétorique du féminisme est d’avoir connu son apogée au moment précis où les conditions de vie des femmes s’empiraient. Cette rhétorique, par la suite, allait être amenée à servir des politiques nuisibles aux femmes.

    La forme d’un féminisme médiatisé - tel qu’il s’expose aujourd’hui - contribue largement à brouiller les pistes. Progressivement vidé de sens, voire instrumentalisé, il peut permettre de justifier toute sorte de dérives : marketing, guerrière et pornographique.

    Nous retenons ici quelques exemples précis. D’autres - développés dans son analyse de l’évolution de l’industrie pornographique - mériteraient un examen attentif et pourraient faire l’objet d’un article complet.

    Sur le plan politique, Nina Power éclaire un des aspects de la construction théorique de l’idéologie républicaine, aux Etats-Unis : soit un féminisme neo-conservateur, incarné par la figure politique de Sarah Palin. Cette dernière revendique clairement son « féminisme » au service de la cause des femmes, au sein de son association militante "Féministes pour la vie" dédiée au mouvement anti-avortement.

    Sarah Palin, une femme-alibi au service d’une idéologie, sensée incarnée le progrès et l’avancement de la condition féminine.

    Femme phallus pour les uns, femme soutenant légitimement le droit des femmes à l'avortement pour les autres ou pitbull avec du rouge à lèvres ?

    Autrefois associé aux « pires » marges identitaires, le féminisme contemporain tel que promu par le politique est devenu un outil idéologique de première importance, au service de valeurs occidentales à défendre, au risque d’attaquer.

    À l’occasion de l‘invasion américaine en Afghanistan, les valeurs féministes à la sauce républicaine justifient, notamment, une part de l’interventionnisme d’état, au nom de l'émancipation des femmes afghanes. Pourtant, là-bas, aucune association féministe musulmane engagée sur le terrain n’est contactée ou consultée. Bien au contraire, leurs actions s’en trouvent compromises au nom de l’usage légitime de la force armée.

    Dans l’univers professionnel, le discours sur la « féminisation du travail » est une réalité à double tranchant. La « flexibilité » du travail - associée à l’idée de « plus grande liberté pour les femmes» - telle que promue par les agences de travail temporaire est un kit packagé sous l’étiquette « indépendance nouvelle », « jeune et dans le coup », permettant d’aller « où on veut ». Il s’agit de prétendues libertés (précarités sociales) - particulièrement pernicieuses - pour les femmes mais très avantageuses pour le capitalisme actuel.
    D’un côté, le travail temporaire est vendu aux femmes, comme une libération supplémentaire. De l’autre, chacun(e) est contraint(e) de se vendre de manière permanente ou se comporter comme un CV en devenir. Nina Power rappelle les propos de David Harvey « quel effet cette circulation du capital variable a t-elle sur le corps et les personnes, les subjectivité de ceux qu'elle traverse". Tout est « bancable » dans la recherche d'emploi. La séparation du temps libre et du temps de travail disparaît. Le devenir CV s’opposant alors au droit à la préservation de la vie privée.

    Enfin, sur le plan « de la consommation », le jeune féminisme promu par les agences de pub investit un marché porteur. Vendu comme facteur de bien être, axé sur l’individu et sa libération, source d’auto satisfaction personnelle, d’épanouissement, il permet au désir de s’émanciper afin de mieux consommer. Les publicitaires, les médias vendent un féminisme « accessoire » à la mode, nourrissant un néo hédonisme de type « engagé ».

    Le discours « féministe » ressemble de plus en plus aux pubs pour shampooings…

    En conclusion, on ne peut s’empêcher de se demander, avec l’auteur, si l'imagination politique du féminisme contemporain n’est pas dans l'impasse, dans l'incapacité à se confronter aux transformations profondes de la nature du travail et de la culture sous couvert de réalisation de soi par la consommation.

    Pourtant, le féminisme a été et doit demeurer générateur de pensées nouvelles et de nouveaux modes d'existence. Radicalement.