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    28 février 2011

    L'Eire et ses travEire.

    J'ai beaucoup lu Nuala O'Faolain, mais c'était avant de me lancer dans l’exercice périlleux de chroniquer mes lectures. Et je n'ai bizarrement jamais éprouvé l'envie de relire ses premiers textes traduits.
    Dans ces chroniques journalistiques qui s'échelonnent sur plus de vingt ans, l'auteur rejoint bon nombre de ses collègues écrivains pour dénoncer l'Irlande moderne et ses dérives financières et morales. Ces chroniques sont séparées chronologiquement en trois parties, les années, 1980, 1990 puis de 2000 à 2008.


    Ces écrits sont politiquement incorrectes et mettent le doigt où cela fait mal, ce qui change de ces pseudos « Années glorieuses du tigre Celtique » et de la satisfaction affichée du monde politique irlandais.
    « Une vilaine petite guerre » ne parle pas de Belfast, la laborieuse, ni de l'I.R.A. mais de Dublin l'arrogante du temps de sa splendeur. Aisance factice qui avait laissé des gens sur le bord du chemin, ville envahie par la drogue....un très beau texte sur une société qui n'a pas su ou pas voulu combattre ce fléau. Les lignes où Nuala parle du traumatisme causé chez de vieilles femmes, suite au vol de leurs sacs à mains et la perte de tous leurs souvenirs sont très touchantes, et cela pour quelques euros...
    « Connaissez-vous le Peuple Marchant? » parle des « Tinkers » ces gens du voyage qui n'ont rien à voir avec ceux du reste de l'Europe, car ils sont les descendants de paysans chassés des terres dont ils étaient locataires. Mais les préjugés sont les mêmes, là-bas comme ici.
    « Violence contre les femmes » est un article qui date de 1997 et qui m'a rappelé quelques lignes trouvées dans un journal français disant que les irlandais sont statistiquement les « champions d'Europe » des violences conjugales ! Les chiffres donnés ici sont édifiants ! Une autre chronique est consacrée à ce sujet « L'innocence détruite ». D'autres sujets de société sont abordés comme l'illettrisme, la sexualité et dans l'Irlande très catholique, ce n'est plus un sujet tabou, mais pas loin, un petit concert de U2 en fond sonore, les travaux ménagers pour une chronique journalistique, pourquoi pas? Un texte se nomme « Faisons l'éloge des femmes illustres », où l'auteur s'étonne que Bernadette Devlin pour son livre « Ma vie n'est pas à vendre » soit la seule représentante de l'Irlande. Une autre auteur irlandaise, Maura « Soshin » O'Hollaran, est statufiée au Japon !
    La religion est épinglée, car si les religieuses « entraient » (pas toujours pour des raisons pieuses) en religion, est-ce pour cela que que les enfants qui leur étaient confiés devaient entrer en enfer ! Une phrase résume les différents scandales qui ont éclaboussé l'église irlandaise :
    -L'Irlande contemporaine flotte sur un océan de douleur.
    Des témoignages qui semblent surréalistes et qui font froid dans le dos ! Surtout lorsque l'on sait que tout cela s'est terminé par une amende et la cessation de toute poursuite ! « Petits bienfaits » revient sur le cas des jeunes filles à qui on retirait le bébé à la naissance pour le confier à des familles souvent américaines.
    Ces naissances, conséquence d'une éducation hypocrite, qui refusait toute contraception au nom de la sainte église catholique. Une autre religion, celle de l'argent roi, met à mal l'ancien Dublin « Les marchands du temple » et leur mesquineries, un peu de bonheur simple, marcher sans crainte la nuit, pas à Dublin mais à Inis Meáin, une des îles des archipels d'Aran! L'émigration due aux différentes années de famine est aussi évoquée ainsi que la communauté irlandaise d'Amérique.
    Plusieurs articles concernant l'Irlande du Nord mériteraient une chronique à eux seuls, mais j'évite autant que possible de me lancer sur ce vaste sujet qui est trop complexe pour moi et je pense maintenant que seul le temps réglera la question. Elle rend également un hommage très mérité, il me semble, à Mary Robinson, ancienne Présidente de la République d'Irlande. Hommage également à Dónald Ò Móráin, qu'a fait cet homme pour mériter ces quelques lignes? Il a fondé Gael Linn, maison d'éditions et de promotions de la langue gaélique.
    Un très beau texte m'a particulièrement touché, il se nomme « Une vie d’héroïque honnêteté » il a été écrit pour la mort de John McGahern :
    - Le cortège funèbre de John a progressé à travers des champs d'un vert tout frais. Il en aurait reconnu chaque détail.
    J'aime beaucoup ce genre d'ouvrage, sélection de billets d'humeur d'auteurs ayant un regard critique sur le monde qui les entoure. Un autre avantage ici, c'est que les écrits ayant une connotation politique sont plutôt récents et concerne un pays dont j'ai beaucoup suivi l'histoire et les écrits, romanesques ou pas.
    Un regard interne et loin des images d’Épinal véhiculées sur la « Verte Erin » qui, pour moi, remet certaines choses à leur juste place. Que reste-t-il quand on perd son âme et ses valeurs au nom de l'argent? Il faut lire des écrivains comme par exemple Dermott Bolger, Sean O'Reilly ayant Dublin pour toile de fond et se souvenir aussi de l'assassinat de la journaliste Véronica Guérin. J'ai toujours regretté la mondialisation de la littérature irlandaise, que j'ai d'ailleurs fortement délaissée ces derniers temps.
    Une lecture essentielle et un gros coup de coeur, même si je n'approuve pas l'hommage à Frank Sinatra!
    Retour en arrière dans « Le Dublin de Bloom », celui de James Joyce et de son livre qui fut peut-être ma première lecture irlandaise « Gens de Dublin », et une constatation amère de Nuala O' Faolain :
    -J'ai moi-même été témoin de ce Dublin précis. Qui est resté vivant jusqu'à ce que l'argent le tue.