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Tendez-nous la main

Abdel Belmokadem

Anne Carrière

  • Conseillé par
    26 septembre 2012

    Né en 1968 à Vaulx-en-Velin de parents tunisiens, Abdel Belmokadem est un enfant des quartiers pudiquement dits « sensibles ». Et c’est là qu’il a choisi de travailler, au travers de son entreprise de médiation « Nes et Cité », qui ouvre aux jeunes (et moins jeunes) une porte sur l’emploi, seul moyen de trouver sa place dans une société et, plus largement, dans un pays.


    « Tendez-nous la main », document autobiographique, revient sur le parcours, de sa jeunesse à maintenant, de cet homme que j’imagine plutôt charismatique, tant il a réussi à convaincre et fédérer autour de lui. Un homme fâché, il le dit, avec l’écrit, faute d’investissement dans sa scolarité (l’ouvrage est le fruit de sa collaboration avec Renaud Leblond), mais pas fâché avec l’oral, j’en veux pour preuve sa manière d’asséner quelques vérités bien senties avec l’art des formules qui font mouche.
    Au départ, c’est important, Abdel est un sportif, un boxeur qui a fait de la compétition, un gars davantage motivé par le ring, où il a remporté quelques jolis succès, que par les cours de sa terminale d’action commerciale.
    Au moment des émeutes de Vaulx en Velin, en octobre 1990, il était aussi animateur bénévole dans une maison de quartier. Il décrit comment il a vu sa banlieue s’enflammer et tout ce qui a été entrepris, il y a participé, pour contenir puis stopper cette explosion de violence.
    Il revient ensuite sur les années où il s’est cherché professionnellement : il a joué gagnant dès qu’il s’agissait de trouver la bonne idée sur le plan commercial…. pour finalement lâcher l’entreprise qu’il avait lancée, Actio Kolor, parce qu’il manquait des bases théoriques nécessaires pour la faire perdurer.
    Mais Abdel Belmokadem fait partie de ces gens que l’échec n’abat pas. Il l’engrange parmi ses expériences, s’en nourrit pour se construire : la prochaine fois, il s’entourera des personnes qui disposeront des compétences ad hoc et l’aideront à aller au bout de son projet.

    C’est ce qu’il a fait lorsque, après avoir œuvré des années comme médiateur auprès de la municipalité de Vaulx-en-Velin, il a lancé en 2001 « Nes et Cité », une entreprise qui lui tenait à cœur puisqu’elle permet d’ouvrir des perspectives d’emploi aux jeunes des cités. Ici, il n’est pas question d’attendre les gens dans des bureaux comme à Pôle Emploi : on va les chercher dans leurs quartiers et on organise, en partenariat avec des entreprises, de vastes opérations de recrutement (au Stade de France, par exemple) auxquelles chacun est préparé individuellement. Bref, on est dans une démarche de proximité très éloignée de ce qui se pratique habituellement en la matière.

    En contrepoint de ce récit, parsemé de quelques belles rencontres, d’un homme parvenu à faire son chemin professionnellement parlant, il y a aussi l’évocation du mari et du père. Pour ses deux enfants, Abdel veut le meilleur… mais il ne peut, malheureusement, gommer le racisme auxquels ils sont confrontés et lorsqu’il en parle on s’en émeut autant que lui.

    Au travers de ce livre s’esquisse le portrait de quelqu’un de droit et combatif, qui a toujours voulu que ses luttes personnelles profitent aux autres. Pour lui, c’est une chaîne de solidarité qu’il faut tisser dans les quartiers : chaque jeune coaché doit en coacher un autre à son tour, pour qu’il y ait un effet démultiplicateur de l’action à échelle individuelle. Surtout, il est hors de question de baisser les bras en abandonnant toute une partie de la population française que les services publics ont tant de mal à appréhender. Il faut aller sur le terrain, reconquérir méthodiquement des zones de non droit comme ces cages d’escalier où il introduisit, du temps où il était médiateur, la pratique du jeu d’échecs pour que les habitants puissent se réapproprier l’espace (les échecs, avec le sport, sont ses deux passions et pour lui d’excellents vecteurs d’action).

    Témoignage honnête, voire parfois brut de décoffrage, d’un homme issu de l’immigration et des quartiers qui a « réussi », « Tendez-nous la main » fourmille d’anecdotes et surtout de notations bien vues sur les questions de la diversité et de l’intégration. Et c’est le récit de quelqu’un qui, loin de se perdre, est resté fidèle à ses convictions, comme le prouve la nature de l’entreprise qu’il a créée.
    En partageant son expérience, car le partage est bien le maître-mot chez lui, Abdel Belmokadem suggère des pistes de réflexion pertinentes, intéressantes aussi pour des pays étrangers (il a pu s’en rendre compte in situ en Angleterre puis en Suède et en Suisse, où il est intervenu) et propose des initiatives concrètes solidement mises en œuvre : de quoi interpeller à bon escient le lecteur et au-delà, on peut l’espérer, les pouvoirs publics.