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    20 juin 2010

    Kurt Vonnegut était prisonnier de guerre à Dresde lorsqu’une brochette de gradés a décidé d’en faire un objectif stratégique à anéantir pour hâter la fin de la guerre, et accessoirement livrer aux rouges une ville dévastée. Enfermé dans un abattoir, il survit aux bombes. Les jours suivant il creuse les décombres à la recherche de corps.

    Abattoir 5 est l’histoire d’un opticien qui revient visiter le passé de l’auteur : jeune homme insignifiant, engagé comme auxiliaire de l’aumônier, Billy est envoyé au front, sans arme, sans entraînement, sans uniforme. Ce soldat en toc survit inexplicablement là où ses camarades plus belliqueux s’effondrent. Il survit à la guerre, aux camps de prisonniers, à Dresde. Si Vonnegut a choisi ce clown pour explorer son propre passé c’est qu’il a fort commodément affublé son double d’un don embarrassant qui le sépare de ses contemporains tout en lui prêtant l’omniscience d’un narrateur immergé dans le présent mais capable de l’évoquer avec le recul du survivant. Enfin c’est surtout le reste de l’humanité qui est à la traîne : voyez vous, l’idée même d’un temps qui s’écoule dans une seule direction parait particulièrement stupide aux Tralfamadoriens, petits bonshommes verts qui partagent avec Billy une conception un peu plus évoluée du temps, sautant d’une époque à une autre à tout moment, capacité fort appréciable pour supporter la condition de prisonnier de guerre, ou celle d’homme marié.

    Vonnegut adosse l’Histoire à un écran fictionnel en apparence délirant, ici les martiens, pour célébrer la bêtise humaine (l’homme n’est pas foncièrement méchant pour Vonnegut, il est surtout très très con). Ce qui nous est présenté comme fantastique est finalement très terre à terre : les martiens kidnappent Billy et le collent nu dans un zoo, on lui adjoint une femelle pour voir ce qui se passe, tout le monde s’agglutine pour mater, comportement très humain, très sain. La vraie science fiction ce sont les ruines de Dresde, ses cratères et ses charniers, inexplicables.