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Secrets

Hee-Kyung Eun

Philippe Picquier

  • Conseillé par
    12 septembre 2018

    Réalisateur solitaire et taciturne, Yeongjun est originaire de K., une ville de l'ouest, sans attraits, sans reliefs, trop éloignée de Séoul qu'il a fuie très jeune pour ne plus jamais y remettre les pieds. À la mort de leur père, son frère cadet, Yeongu, lui apprend que, selon les dernières volontés du défunt, la maison familiale doit être vendue et l'argent versé à une inconnue, une certaine Myeongseon. Or, cette maison, ils avaient dû la quitter en catimini après la faillite de l'entreprise de travaux publics paternelle. En tant qu'aîné, Yeongjun est censé s'acquitter de cette tâche, mais il est en plein tournage, prétexte tout trouvé pour sans cesse remettre, pour ne pas s'investir, pour éviter de penser à l'époque où il vivait à K. et aux secrets que son père a laissés derrière lui.

    Avec "Secrets", Hee-kyung Eun nous plonge dans l'histoire d'une famille, d'une ville, d'un pays.
    La famille, ce sont les Jeong qui vivent à K. depuis des trois générations. Le grand-père Seongil, un fin lettré, notable de la ville a établi les bases de la lignée. Son fils Jeonguk, entrepreneur en travaux publics a contribué à l'expansion de K. en construisant routes, ponts et bâtiments. Cela ne s'est pas fait sans heurts, il a dû verser quantités de pots-de-vin et damer le pion aux Choe, une famille rivale et belliqueuse. Ruiné, il n'a rien laissé à ses fils, Yeongu le fugueur, le rebelle, et Yeongjun, l'enfant sage et studieux, si ce n'est une détestation réciproque forgée dans la discipline et l'esprit de compétition qu'il leur imposait.
    La ville, c'est K. Une cité banale, rurale, coincée par les montagnes qui l'entourent, rêvant de grandeur mais éternelle provinciale.
    Et le pays, c'est la Corée. Un pays divisé par une guerre fratricide mais qui à force de pugnacité s'est développé en puissance économique. Pugnacité mais aussi abandon de ses valeurs... La glorification des érudits, le respect des aînés, le monde agricole ont été sacrifiés sur l'autel de la productivité, du capitalisme, de la modernisation à tout-va.
    Allant et venant entre les époques, Eun ne se soucie ni de la linéarité, ni des dialogues. Elle crée un puzzle de sensations, de sentiments, de réflexions, difficile à assembler mais qui forme le visage de son pays, avec ses fractures, ses contrastes, ses erreurs et ses réussites aussi.
    Un roman exigeant, difficile, mais de toute beauté.