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La rebouteuse de Champvieille, roman
EAN13
9782809801804
ISBN
978-2-8098-0180-4
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
Roman français
Nombre de pages
326
Dimensions
22,5 x 14 cm
Poids
448 g
Langue
français
Code dewey
843

La rebouteuse de Champvieille

roman

De

Archipel

Roman français

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  • Vendu par Librairie Le Livre.com
    Description
    R260151981: 2009. In-8. Broché. Bon état, Couv. convenable, Dos satisfaisant, Intérieur frais. 326 pages. Premier plat illustré en couleurs.. . . . Classification Dewey : 840-Littératures des langues romanes. Littérature française
    État de l'exemplaire
    Bon état, Couv. convenable, Dos satisfaisant, Intérieur frais
    Format
    In-8
    Reliure
    Broché
    35.80 (Occasion)
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Montréal, Québec, H3N 1W3.

eISBN 978-2-8098-0953-4

Copyright © L'Archipel, 2009.

1

Les chevaux du demi-solde

Le col dévoila l'horizon. Le voyageur s'arrêta le cœur battant. Les pins bleutés cédaient la place à des bataillons de sapins sombres. Entre les bois, des prés. Dans les combes, des touffes de joncs hirsutes. Une vague de souvenirs déferla. Ce pays, où il revenait sans passion, le rabrouait pour cette insolence. Un pays magnifique, le sien, qu'il avait cru oublier. Sur deux grandes lieues, la route empierrée escaladait les croupes ou plongeait dans les pentes. Au loin, à peine visible dans le crépuscule, cheminait un tombereau. Des vaches le tiraient, il le vit tout de suite, question d'habitude, une habitude endormie depuis un quart de siècle. Ce travail tarissait leur lait, mais, bon an mal an, elles vêlaient. Dans cette contrée rude, une paire de bœufs était un luxe. Mille fois dans son enfance, il avait mené de tels attelages.

Au bout de la route, les tours jumelles de l'abbaye se découpaient sur le ciel mauve.

Il ferma les yeux, offrit son visage à la bise. Ici, le vent n'arrêtait jamais. L'hiver, il hurlait tout au long du plateau. L'été, la brise rafraîchissait quand le soleil tapait à travers l'air sec de l'altitude.

C'était le Haut-Velay qu'il avait fui jadis. Aujourd'hui, une page se tournait. Une bouffée de joie balaya les ambitions, doutes et amertumes de vingt-trois ans d'exil. Il allait se construire une vie nouvelle, ici. Sentant ses yeux s'humecter, il sourit.

Une bourrade sur son épaule, le choc sourd d'un pied dur frappant la terre gelée le sortirent de sa rêverie. Ses compagnons s'impatientaient. Il se tourna vers eux. Il avait toujours aimé les chevaux. Pas les pur-sang minces qui s'effraient de leur ombre et s'éclatent le cœur dans des galops insensés, mais les modestes bêtes de trait, aux formes rondes, aux sabots grands comme des plats à barbe. Ces deux-là, malades et efflanqués, s'étaient bien rétablis en trois semaines d'un voyage paisible. Exercices et nourriture riche avaient suffi. D'ici un petit mois, ils seraient magnifiques. L'arrivant avait rarement vu des percherons aussi grands. Ils atteignaient six pieds à l'encolure, sa taille, soit un mètre quatre-vingt-trois dans la nouvelle mesure instaurée par la République. La rencontre de ces deux grands hongres avait été une chance.

Le voyageur qui contemplait au loin l'église abbatiale de La Chaise-Dieu avait quarante ans et se nommait Jean Charzol. L'ultime chute de Napoléon avait scellé le sort de ce capitaine de chasseurs comme celui de quelque vingt mille officiers : la retraite avec demi-solde. Il avait traîné jusqu'à l'automne dans une caserne de Reims et, fin novembre 1816, un mois auparavant, il avait été « libéré ».

Logeant en ville, il avait payé d'avance deux semaines de loyer et s'était donné jusqu'au terme de sa location pour se choisir un avenir. Les deux grands percherons avaient décidé pour lui. Il les avait achetés sur une impulsion, du moins l'avait-il cru jusqu'à ce que s'impose la cohérence de ce choix.

Démobilisé, il avait tout d'abord ressenti un grand vide, qui peu à peu avait laissé place à un surprenant soulagement. Il avait marché des jours dans la ville, perdu dans ses pensées. Un matin, ses pas l'avaient ramené à la caserne où il avait passé un long trimestre à contempler la déliquescence de l'armée impériale. Il contemplait le bâtiment morne avec une sorte de dégoût, se disant qu'il ne remettrait jamais les pieds dans un pareil endroit. Il y était pourtant entré, attiré par une affiche annonçant une vente de chevaux aux enchères. L'armée ne bradait pas seulement ses hommes.

La taille et la robe de deux bêtes étiques l'avaient intrigué. Pourquoi avait-il aussitôt songé à Waterloo ?

La bataille était perdue, il venait de le comprendre. Il reculait, gardant ses hommes en bon ordre afin d'éviter la débâcle et ses massacres. Sur sa gauche, deuxénormes chevaux, attelés à un lourd caisson de munitions, chargeaient les Anglais. La crinière du premier, un alezan, était blonde, celle de l'autre, un bai acajou, d'un noir profond. Elles flottaient au vent de leur course comme d'étranges flammes. Lié sur son banc par ses rênes, le cocher, le front éclaté par une balle, galopait vers l'enfer. Malgré les coups de sabre, les grands percherons avaient piétiné une dizaine d'habits rouges avant de s'arrêter couverts de sang. Une image indélébile dans la mémoire du capitaine.

Lors de la vente, il s'était d'abord refusé à reconnaître l'attelage fou. Puis les plaies longilignes et chroniques des deux vétérans l'avaient convaincu. Seuls des sabres tranchaient ainsi. Cet état déplorable était scandaleux !

Le montant dérisoire de leur mise à prix avait tiré Jean Charzol de ses réflexions amères. Sans l'avoir clairement voulu, il avait levé la main.

Immédiatement, il était parti vers la campagne, emmenant les deux bêtes dont les jambes flageolaient. Il avait trouvé une ferme où les placer durant quelques jours. Le lendemain, il avait fait venir un vétérinaire de l'armée qui avait incisé et pansé les plaies. Aussitôt les chevaux s'étaient mis à dévorer foin et avoine, sans barguigner.

Huit jours plus tard, il était parti pour son « département de naissance », comme l'exigeait son nouveau statut de demi-solde. « Haute-Loire » : un nom ridicule ! Il regrettait qu'on n'eût pas maintenu à la nouvelle circonscription administrative son nom de toujours : le Velay. Il avait donc pris la route du sud. Avant Lyon, il avait obliqué au sud-ouest. Il n'aimait pas les villes.

Tout au long du voyage, il avait eu l'étrange sentiment que ses chevaux connaissaient la route, qu'ils le guidaient. D'eux-mêmes, ils l'avaient ramené chez lui.

Deux petites lieues, soit une grande heure. Il se remit en route, sachant parfaitement qu'il marcherait de nuit. Qu'importe. Il connaissait chaque pierre du chemin et arriverait pour la soupe à l'auberge du Coq-Rouge.

Le froid pinçait. L'abbaye, proche maintenant, se découpait sur un ciel piqueté d'étoiles. Ses chevaux, Canon, l'alezan à crinière blonde et Boulet, le bai, le suivaient sans qu'il ait à tendre leurs longes. Ils allaient côte à côte, reliés par l'attelage de l'habitude. Le demi-solde avait ainsi marché presque deux cents lieues. Monter ses bêtes de trait lui aurait paru inconvenant.

Vingt-deux longues années de campagnes l'avaient mené un peu partout en Europe, toujours à pied, en des étapes de dix lieues et parfois davantage, portant quarante livres sur le dos. Alors, cette marche sans sac, en compagnie de deux hongres à apprivoiser – « à séduire », songeait-il –, avait ressemblé à une promenade. Il s'était senti l'esprit libre à cheminer ainsi sans but immédiat, et avait pleinement pris conscience que, pour lui, si un monde s'achevait, un autre allait surgir.

Il s'était engagé lors de la « levée en masse » de 1793. Comme des milliers d'autres, il était parti « sauver la nation en danger ». Pieds nus, équipés de mauvais fusils, les conscrits avaient affronté des troupes de métier, cruelles et bien armées. Les survivants avaient appris dans la douleur les ravages de l'artillerie et la puissance des cavaliers au galop. Les salves des Autrichiens en blanc, ou des Anglais en rouge, avaient fauché leurs camarades par vagues entières avant qu'ils n'apprennent à tuer eux aussi, qu'ils s'aguerrissent.

Parce qu'il savait survivre, mais aussi parce qu'il savait lire et écrire, Jean Charzol était monté en grade. N'ayant au pays nul autre avenir que bûcheron ou vacher, il était demeuré soldat. Il avait cru en la République et en l'Empire avant de c...
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