Horloge Du Fou -L-

En quatre années à peine, Alain Grand, né en 1975 et mort accidentellement à vingt-et-un ans, a parcouru une fulgurante trajectoire artistique et humaine. Semant dessins et caricatures dans ses cahiers, peignant près d'une centaine de tableaux souvent monumentaux, musicien et comédien amateur, il a aussi tenu régulièrement son Journal, édité ici pour la première fois dans sa version intégrale. Ce Journal est d'abord le témoin de la métamorphose d'un adolescent en homme. Un homme qui prend peu à peu possession de ses moyens de peintre et d'écrivain, affrontant ses angoisses, savourant ses moments de jubilation, assumant et craignant à la fois sa marginalité, un homme enfin qui explore toutes les possibilités d'être offertes par un tempérament et des dons hors du commun. Mais ces textes jetés sur le papier dans une totale immédiateté sont aussi oeuvre d'écrivain: une invention constante transfigure les heures claires comme les heures sombres (le monde n'est pas toujours fraternel aux êtres doués de sensibilité et capables de révolte), le ton passe sans cesse de l'humour au désespoir, de l'excitation à la méditation, du quotidien à la prophétie, de l'autodérision à l'enthousiasme. L'ensemble révèle une extraordinaire énergie créatrice, incarnée également dans les dessins et les tableaux qu'Alain Grand réalisait comme il écrivait: d'un jet inspiré, sans jamais reprendre ou peaufiner. Il allait donc de soi de présenter, entre les pages du Journal, l'essentiel de l'oeuvre peint et dessiné, dans une correspondance permanente entre le texte et l'image qui seule pouvait dire l'urgence de créer de l'auteur. Cette urgence, Alain Grand l'a-t-il ressentie aussi intensément parce qu'il devinait la brièveté de son parcours? Plusieurs passages du Journal laissent supposer qu'il savait son temps compté, et qu'il devrait donc donner à sa vie un rythme qui ne serait pas celui des vies ordinaires : le rythme radicalement différent de l'Horloge du Fou.