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Conseillé par
7 mars 2014

Londres nous voilà

Struan est un cœur pur. Une espèce d’ingénu. Il est écossais et, à 17 ans, n’a jamais dépassé les frontières de son pays, voire de sa ville. Il est aussi brillant et l’un de ses professeurs, impressionné par ses talents multiples, lui suggère de réfléchir sérieusement à une petite annonce qu’il a repérée : « Géant de la littérature recherche jeune homme pour pousser sa chaise à roues. Logé, nourri, chambre individuelle à Hampstead. » Ce géant de la littérature n’est autre que Philip Prys, un auteur victime d’un AVC, que Struan a lu et qu’il admire. Hampstead est un quartier chic de Londres. Il n’y a pas à hésiter. Le voici débarqué dans cette ville légendaire qui ne ressemble en rien à ce qu’il avait imaginé : les passants ici ne sont ni excentriques, ni très affables. Il ne perd rien pour attendre. En arrivant dans la famille du dramaturge, il comprendra vite que les Londoniens sont assurément des individus très étranges. Naïf, serviable, il ne veut juger personne, ni la cupide ex-femme de Philip, ni sa fille, obèse et sournoise, ni la nouvelle épouse, jeune, belle et mystérieuse, ni même Philip avec qui il tente de communiquer. Tandis que Struan évolue pas à pas et qu’il commence à comprendre la complexité des êtres, le monde, lui, se métamorphose. Nous sommes en 1989, l’année où les murs s'écroulent et les tyrans sont fusillés. L’année d’une terrible canicule où peu à peu les masques vont tomber. Et le jeune homme découvrira que derrière se cachent parfois de bonnes surprises.

" Crème anglaise " est un roman drôle et féroce qui raille une société londonienne arrogante, sûre de son fait avec son lot d’enfant gâtés, de femmes vénales, d'égoïstes impénitents. Struan n’est peut-être qu’un provincial qui ne sait ni s’habiller, ni se coiffer, un garçon sans doute un peu désuet, mais son influence, à peine visible, transformera la vie des autres. La sienne en sera, assurément, bouleversée.

Kate Clanchy, née en Écosse, se serait inspirée de sa propre arrivée à Londres à la fin des années 80 pour écrire ce tout premier roman. On comprend mieux pourquoi son ton, moqueur mais tendre, sonne si juste.

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une biographie de Caroline N. Spacek

Le Rouergue

Neuf 18,80
Occasion 3,19
Conseillé par
5 mars 2014

la création comme une intrigue

Lorsqu'il entre chez Caroline, Lou ne s'attend pas à y rester. Étudiant, il n'est venu que pour un simple article, pour tenter de percer le mystère de l’écrivaine qu’il adule. Il a lu tous ses livres. Il a désormais besoin de savoir qui elle est. Et, chose rare : elle accepte. Elle le reçoit alors même qu'elle ne voit plus personne, ne donne plus d’interviews –et surtout pas aux journalistes, qu’elle fait déguerpir à coups de talons hauts ou de feux de carabine. À 39 ans, la brillante auteure précoce, connue pour ses premiers romans sulfureux, vit recluse dans la campagne, au cœur du Devon. Et c’est dans cette maison anglaise que la scandaleuse commence à se livrer. Pendant qu’elle parle, de sa voix rauque, éraillée -une voix de fumeuse- Lou écoute et enregistre. Le soir, ils se couchent, chacun dans une chambre, et le matin, ça continue : Caroline parle, Lou s’imprègne, fasciné. Sans jamais l’interrompre, mais avide de percer le secret du génie, le jeune homme se tait. Peu à peu, il l’apprivoise. Elle lui donne sa confiance. Inexorablement, les souvenirs de Caroline se mêlent aux siens. Tous deux sont issus d’un milieu difficile, défavorisé, misérable même, et leurs destins se mélangent, se retrouvent sans cesse. La mémoire de l’un dessine celle de l’autre, remontant à la surface comme un animal traqué. Et leurs bribes de passé sont tout aussi violentes, choquantes, tragiques.

 Plus que l’histoire d’une rencontre entre un jeune thésard homosexuel et une star de l’écriture, « Buvard » est le récit d’une confrontation. Pendant neuf semaines, presqu’en huis clos, il partage sa réclusion, et apprend surtout à vivre avec elle. C’est l’été. Il règne une chaleur torride. Les mots de Caroline transpirent, gouttent, coulent, jusqu’aux oreilles de Lou. Comme un assoiffé, il absorbe, il avale ses paroles. Ils ont chacun des secrets, chacun un passé douloureux qui les ronge et les détruit. Reste à se relever, à affronter la vérité, à s’éponger le front. Julia Kerninon nous dévoile l’écriture triomphante, celle qui résulte du passé cruel, qui invite à l’introspection. La violence de la langue de son héroïne cache des secrets enfouis, qu’elle ne veut pas dévoiler. Pourquoi est-elle arrivée dans cette maison ? C’est la question à laquelle Lou doit répondre à tout prix. Une à une les réponses tombent, comme des couperets. En se contemplant dans le passé de l’écrivaine, le jeune homme fait face à sa propre vie.

Julia Kerninon parvient à décrire le formidable processus de création littéraire, et la fièvre qui s’empare de l’écrivain, haletant, face à sa machine à écrire. Longtemps après avoir refermé " Buvard ", ses mots résonnent encore, comme une éternelle gueule de bois.

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Neuf 19,00
Occasion 3,19
Conseillé par
4 mars 2014

Polar made in China

Façon slogan maoïste d'autrefois, on pourrait dire que Qiu Xialong* mène la grande campagne des trois "P " : polar, politique et poésie. En neuf romans, de " Mort d'une héroïne rouge " (2001) à " Dragon bleu, tigre blanc " (2014), ce romancier natif de Shanghai, réfugié aux USA en 1989 et naturalisé américain depuis, a composé une oeuvre unique, se glissant dans les codes de la littérature criminelle pour mieux décrypter la société chinoise moderne et les luttes de pouvoir à la pékinoise.

 Qiu dispose d'une arme fatale : l'inspecteur Chen Cao. Protégé par une huile du Parti et couvé par un propriétaire de boite de nuit, redouté de sa hiérarchie et respecté des petites gens, il poursuit sa quête de vérité sans jamais dévier, ni sans trop d'illusions. " Le système n'a pas de place pour un flic qui place la Justice au-dessus des intérêts du parti ", le prévient-on. A la différence des héros occidentaux, Chen n'épingle jamais les comploteurs ni les assassins. Mais il donne d'efficaces coups de pieds dans la fourmilière des cadres dirigeants ou oligarques occupés à s'enrichir à tout prix.

 Dans son combat, Chen peut compter sur un petit cercle de fidèles, fonctionnaires incorruptibles, blogueurs militants ou jolies femmes prêtes à se sacrifier pour ses beaux yeux et son élégance raffinée. Car il n'est pas seulement doué pour déjouer les intrigues de Palais. Son créateur, traumatisé à l'adolescence par la Révolution culturelle qui l'a privé d'enseignement artistique, lui a fait don de sa passion et de son talent pour la poésie. Par la voix de Chen, Qiu nous éveille ainsi à la délicatesse de poèmes traditionnels chinois ayant résisté au temps et à toutes les censures.

 Chen a toutes les vertus, hormis peut-être celle d'être infaillible. Sa personnalité sans tache le fait surnager dans une Chine dont le présent capitaliste désole Qiu Xiaolong autant que son passé révolutionnaire. Dans " Dragon bleu, tigre blanc ", l'inspecteur est témoin de la chute d'un couple de hiérarques trop ambitieux, Lai et Kai, calqué sur le modèle de Bo Xilai et son épouse Gu Kailai. Ce dernier, ancien ministre et maire de Chongqing, " prince rouge " rival de l'actuel président Xi Jinping, a été condamné l'été dernier à la prison à perpétuité pour corruption. S'inspirant fidèlement de sa chute, Qiu Xiaolong réussit à captiver le lecteur en montrant une page d'Histoire contemporaine en train de s'écrire. Que demande le Peuple ? _* Prononcer Tchou Shaolongue _

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Neuf 22,50
Occasion 3,99
Conseillé par
4 mars 2014

Ian McEwan se prend pour John le Carré !

Tout à la fois roman d’espionnage dans la veine d’un John Le Carré, déclaration d’amour à la littérature et romance,  « Opération Sweet Tooth » nous plonge dans l’Angleterre des seventies, en pleine guerre froide sous la plume alerte de Ian McEwan

La très jolie Serena Frome  aime les livres et les hommes. Etudiante à Cambridge, elle tombe dans les bras d’un professeur d’histoire, Tom Canning. Mais Canning n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît et a pour sa jeune maîtresse une ambition singulière : qu’elle entre au MI5 ou service secret de Sa Gracieuse Majesté.

Serena devient donc sous-officier stagiaire car à cette époque, les femmes ne peuvent guère ambitionner plus que « constituer des dossiers, un fichier et des archives ». Pourtant la jeune femme va devenir la cheville ouvrière d’une mission « Sweet Tooth ». Sous ce terme délicat, est élaborée une opération : approcher un écrivain prometteur aux opinions solidement anticommunistes et subventionner ses travaux. Car comme le souligne les supérieurs de Miss Frome, l’opposition est-ouest n’est pas seulement « un enjeu politique et militaire mais également une guerre culturelle ». Serena va donc rencontrer l’auteur sélectionné, Thomas Haley mais rien ne se déroule comme prévu.

De la manipulation comme un grand art ou plus précisément qui des services secrets ou des écrivains trompent le mieux son monde, voilà ce qu’aborde dans ce roman réjouissant Ian McEwan.  L’auteur britannique joue avec son lecteur, ses personnages et construit, s’inspirant de faits réels, une intrigue divertissante pleine de fraîcheur.

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Conseillé par
3 mars 2014

Promenade au bord de la mère

À la naissance de son fils, Anita, journaliste reporter d’images, perd pied. Le bonheur tant attendu et prédit par tous ne vient pas. L’amour est en berne, le corps battu et l’âme secouée par la maternité. Alors que les nuits sans sommeil aspirent ses dernières forces, elle en oublie le goût des choses et des gens. Son œil ne pétille plus et quand son producteur lui propose un reportage sur une mère infanticide, la réalisatrice déclare forfait. Trop d’empathie avec le sujet ?

La vérité est qu’elle ne comprend ni ne sait calmer les pleurs de son enfant. La voilà devenue toxique avec ce qu’elle a de plus cher au monde. Elle n’y arrive pas. C’est Louis, le père de son fils de quatre mois, qui met un jour les mots sur ce qu’elle pressent. « Il faut que tu partes. » L’injonction est sans appel. Partir donc, mais cela ne suffit pas, il lui faut aussi se trouver, « sinon ça ne sert à rien de revenir », lui fait remarquer son compagnon, empreint d’une extrême lucidité dans sa dureté apparente. Réduire le troisième roman d’Olivia Elkaim au récit d’une dépression post- partum ne serait cependant ni lui rendre justice ni être exacte. Le récit prend véritablement son envol au moment du départ d’Anita pour Marseille. Mue par un instinct ancestral, elle a rejoint la cité phocéenne, en ayant pris soin d’emporter trois photos, l’une représentant sa mère Rosie en 1973, les deux autres de sa grand-mère Odette en 1953 et 1960. Le but inconscient de son départ se dessine bientôt sous ses yeux dans la pénombre d’une chambre d’hôtel : les spectres du passé l’appellent et tentent de lui livrer leurs secrets. Pour devenir mère, elle doit d’abord comprendre qui elle est. Se perdre pour renaître à la vie. La destination qu’elle s’est choisie, croit-elle par hasard, lui renvoie en pleine face l’histoire des femmes de sa famille. Sa grand-mère, fille d’un émigré sicilien échoué en Tunisie, élue reine de beauté à Carthage, et sa mère « qui ne fait pas ses 55 ans », à la tête d’une salle de gym en banlieue parisienne, brodent un contrepoint évident avec Anita, l’intello rive gauche mal dans sa peau, issue d’une double culture juive et catholique. Le paradoxe est une des clefs de la féminité, raconte l’auteure à travers ce triple portrait de Tanagra. Dans ce livre gigogne, écrit par touche et conçu comme une peinture abstraite qu’il faut voir de loin pour en saisir le sens, la coïncidence et l’accident n’ont pas droit de cité. La construction est parfois déroutante mais le scénario parfaitement huilé. Ce n’est qu’au bout de plusieurs chapitres que le lecteur attrapera totalement cette anti-héroïne qui tente de mettre ses pas dans ceux de sa " nona ", en rejoignant un sud méditerranéen fantasmé et déconstruit pour mieux se le réapproprier. La quête des origines tisse la matrice réelle du livre : la question de la transmission, déjà à l’œuvre dans le premier roman de l’auteure " Les graffitis de Chambord ". Dès lors, on est en droit de se demander si le baby- blues n’a pas une fonction vitale et moteur : « Qu’est-ce qui t’oblige à aimer ton fils, Anita ? », souffle, provocateur et endiablé, le fantôme d’Odette à sa petite-fille. La question est politiquement incorrecte : quelle mère n’a jamais été traversée, ne serait-ce qu’une minute, par la tentation du départ ? Inavouable, inacceptable,… et pourtant si désirable. Du fantasme naît déjà la culpabilité : laisser celui que l’on a enfanté ? Anita l’a fait. Son geste relève à la fois du suicide et du défi. Bras d’honneur au destin qui intime à toutes les mères d’être une héroïne surpuissante ; bravade de cette nouvelle esclave qui longe un précipice pour éprouver sa peur, en espérant qu’une main viendra la secourir à la dernière seconde. Odette a-t-elle aimé sa propre fille, Rosie ? Que lui a-t-elle fait vivre pour qu’elle soit devenue à son tour une mère possessive, égoïste, un brin hystérique ? Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une famille névrosée : Olivia Elkaim, dans une langue dépouillée, taillée au scalpel de la psychanalyse, en fait la matière d’une histoire qui s’étale sur près d’un siècle, entre la Tunisie d’avant la décolonisation et la ville de Bernard Tapie des années 80. Comment réussit-elle avec une telle économie de mots, à produire un tel spectacle de couleurs, d’odeurs et de sons ? La langue chante, les mains brassent l’air avec grâce et une passion déclarée pour le drame. Les femmes sont des tragédiennes et des pleureuses professionnelles. Mais parfois, les larmes coulent à l’intérieur. Olivia Elkaim, dont c’est ici le troisième livre, et sans nul doute le plus osé, a ce don particulier de les faire ressurgir.

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